Comme Alice, nous avons suivi un
lapin.
Nous l’avons suivi dans le terrier du monde moderne.
Nous avons plongé dans le
souterrain.
Nous sommes tombés.
La chute dura quarante jours et
quarante nuits.
Et qu’avons nous trouvé
en guise de pays des merveilles
?
Athènes détruite, abandonnée,
humiliée.
Des traders dans les tours ?
des psycho killers dans les rues.
Des stars toujours plus jaggeriennement vexantes ? des
familles de plus en plus vampiriques et incestueuses.
Et une solitude… Ce monde
était foutu.
Ce n’était plus que des
ruines, des zones.
Mais cette destruction définitive n’était
pas que dans nos rues et nos immeubles ?
elle était aussi dans nos
cœurs.
Qui appeler ?
Les hommes marchaient avec la fin du monde
dans leur main comme une canne.
La monde qu’on doit porter est lourd comme un chagrin.
C’est comme une paupière qui manque de succomber
sous le poids de ses larmes,
mais la musique de Pale nous
soutient dans notre épreuve.
Elle est là pour alléger notre fardeau, ou, plus
exactement, transcender son poids.
Faire de cette tâche un
héroïsme nouveau, porteur de
joie, et d’un lyrisme qui
s’extrait de cette arche ensevelie comme
une colombe.
Le son de Pale est plein, compact.
Il y a des guitares qui sortent de partout, qui tirent comme des
snipers perdus dans les ruines, il y a des synthétiseurs
entêtants et la rythmique est implacable, mais il y a aussi
une promesse.
Se faisant un chemin en serpentant entre les balles perdues,
la voix avance : chuchotée,
calme, hiératique, souveraine.
Elle commente le désastre avec le calme et la
compassion des anges.
Mais elle convoque également le triomphe sur la mort
icibas.
Pale, c’est une voix et
un œil.
Ce n’est pas de la
chanson engagée ? c’est
de la chanson contemplative sur des sujets
historiques ou politiques.
Pale, c’est regarder des choses très
dures avec un regard très pur,
et murmurer des choses terribles
avec une voix douce.
Lorsque la catastrophe va arriver, on comprend que des hommes
hurlent, mais quand celleci est
déjà là, alors c’est inutile ? on peut
tout traverser avec un calme absolu ? une sorte de
sérénité blessée. Pale, c’est la
musique des derniers temps, mais c’est aussi celle de la
grande transition, celle de la préparation au
nouveau cycle historique.
Pale, ce sont les chants de
Dionysos, chantés par les
poètes qui traversent la nuit.
C’est le grand rassemblement des Freaks autour de la coupe
dorée pendant
leur cérémonie initiatique.
C’est la peau et les paupières peu
de temps avant les premières lueurs de
l’aube.
Et puis les yeux rouges d’avoir blanchi la nuit.
Le jour commence et Pale et nous ne faisons plus qu’un.
Nous courons dans les rues comme les lapins.
Nos yeux ne voient plus les êtres ou les choses mais ce qui
se passe entre.
Nous ne voyons plus que les liens, les relations, les ponts.
Nous avons traversé l’Achéron mais nous ne
sommes pas morts.
Nous avons traversé le Léthée mais nous ne
sommes pas éteints.
Soyez plus calme que la Mort et vous ne goûterez point
à elle.
Soyez plus pâle que les Anges et vous verrez le vrai visage
du Temps.