Pop ? Rock ? Folk ? Jazz ? Free ? World ? Classique ? Punk ? Cold ? Hardcore ? Post-Bop ? Cela fait longtemps qu’il n’y a plus de terme pour la musique la plus prégnante, la plus bouleversante et la plus généreuse de notre époque – plus de mots, mais beaucoup d’images. Et déjà d’un théâtre alchimique, de bois et de métal ; un petit théâtre rouge où chaque note est également un poème, où chaque parole est un élixir transformateur faisant la navette entre nos doubles et nous. Cette musique semble ouvrir un théâtre mental, « théâtre de mémoire » comme celui de Giulio Camillo. Et peut-être aussi qu’elle retourne vers une fonction extrêmement archaïque du chant : les noces du sacré et du profane – une musique d’amour – même si ce terme est depuis longtemps devenu tabou – une musique de fin’ amor. Toute la pop music, des Beatles à Led Zeppelin, de Kate Bush à Prince, tendait vers ça, demandait ça, appelait ça : elle voulait réorienter l’homme moderne en le dés-occidentalisant. Cette musique, nous l’avons atteinte. Et désormais elle n’a plus de nom. Elle est « la » musique. Elle est « la vie ».
Violoniste avec Secret Chiefs 3, John Zorn, Sun City Girls, compositeur et interprète d’une quinzaine de très grands disques parmi lesquels Virginal Co-ordinates, The Narrow Garden et plus récemment Alastor, Eyvind Kang est des figures-clés de cette musique, et un des très grands artistes et hommes de notre époque. Pour nous, il met en musique « Faites le Mal », un fragment des derniers carnets de Antonin Artaud, en y convoque une orchestration traditionnelle coréenne (retrouvant l’élément oriental et chamanique présidant au Théâtre de la Cruauté), des soundscapes électroniques et la voix stellaire de Jessika Kinney.
Ancienne muse et complice de Barney Wilen (Pretty Day ; Beau masque), chanteuse et compositrice (notamment La Man et J’aime l’ennui pour Christophe) ayant collaboré avec Joachim Montessuis, Laurent Chambert et Olivier Mellano, Marie Möör se réapproprie le texte poignant de Marguerite Porete, Le miroir des âmes simples et anéanties, et retrouve dans sa voix au timbre unique d’enfant désespérée, alliant comme dirait Nerval « les soupirs de la sainte aux cris de la fée » les échos de cette pauvreté et de cette grâce – le chant de Marie Möör c’est cet « ardent sanglot » du poème de Baudelaire : « qui roule d’âge en âge et vient mourir au bord de votre éternité ».
Peintre, poète (Peeling angels, Gas Flowers), chanteur et performeur au magnétisme vibrant, Scott Batty attise et calme successivement avec Le Hibou les tensions de leur groupe Larynx and Claw (connu précédemment sous le nom de The Umbilical Chords). Scott et Le Hibou font tourner circulairement les énergies de leur grand chant mi-folk mi-cold : une sorte de venin-sève qui traverse l’auditeur et passe d’un corps à l’autre, créant une communication muette, auditive, entre les membres du public. C’est à la fois chamanique et concentré, lent et dur, sensuel et traversé par la froideur et la violence du monde moderne, comme une chair encore vive entre deux morceaux de métal. Et vos sourires n’ont jamais semblé aussi fragiles, et aussi lumineux.
Un point commun entre Eyvind Kang, Marie Möör et Larynx and Claw : la place de la poésie, et une poésie qui s’assume comme telle – une poésie qui n’est plus la grande absente ou la grande oubliée mais est devenue au contraire indissociable de toute expérience musicale, même pop, surtout pop. Mais encore et surtout, ces musiques n’explosent jamais, elles implosent. Ce sont des chants de tête, des chants de cœur. Les mélodies ouvrent à une expérience intérieure et préparent leur auditeur au voyage définitif – celui qui se fera depuis les éléments dissociés de l’espace et du temps et se résorbera dans l’unification des nos amours rouges sous la réverbération principielle de la Grande Note.
Nous avons rendez-vous – aux frontières du monde.