Texte publié sur le blog Le Livre sans visage en mars 2021.
Quand j’ai écrit le livre La Victoire des Sans Roi en 2017, le livre était le résultat de douze ans de lectures et d’interrogations. Tout était parti en été 2005 d’un coup de fil de Philippe Manœuvre, une proposition de collaboration à Rock & Folk pour un hors-série consacré à John Lennon. J’avais voulu étudier les relations entre Lennon et Philip K. Dick, j’étais tombé sur des déclarations de l’un comme de l’autre où ils exprimaient leur proximité aux idées des « gnostiques ».
« Il me semble, écrit par exemple John Lennon dans Éclats de ciel écrits par ouï-dire, que les seuls Chrétiens dignes de ce nom étaient (sont ?) les gnostiques, qui croient en la connaissance de soi, c’est-à-dire en la nécessité de devenir des Christ, de trouver le Christ qui est en soi. »
Et Philip K. Dick : « On m’a accusé d’avoir des idées gnostiques, et je pense que l’accusation est fondée. En faisant des recherches dans l’Encyclopedia Britannica, je suis tombé sur la référence d’un codex gnostique intitulé : Le Dieu irréel et les aspects de son univers inexistant – une idée qui, aussitôt, me fit éclater de rire. Quel étrange individu pourrait être disposé à parler de quelque chose qu’il sait ne pas exister, et comment ce qui n’existe pas pourrait avoir des « aspects » ? C’est alors que je me suis rendu compte que j’écrivais justement ce genre de chose depuis plus de vingt-cinq ans. »
J’ai donc enquêté sur les gnostiques. J’ai lu L’Évangile de Thomas, L’Évangile de Philippe, L’Évangile de Marie, les textes retrouvés à Nag-Hammadi en 1945, la Pisti Sofia, le Codex de Berlin, les Homélies clémentines, les réfutations d’Irénée de Lyon, d’Hippolyte et d’Epiphane, les livres de Henri-Charles Puech, de Elaine Pagels, de Simone Pétrement, les Codex manichéens, etc.
Il est question de deux Dieux. Un vrai Dieu qui n’a pas de pouvoir sur Terre, seulement dans le cœur de l’homme. Et un faux Dieu, qui a du pouvoir, beaucoup, qui est très con et très méchant et que les hommes adorent : le Démiurge. Le Démiurge n’est pas Dieu, il est ce truc que les hommes adorent quand ils disent qu’ils aiment Dieu. Il faut le distinguer à la fois de Dieu et du diable, diable qu’on peut considérer comme le complice du Démiurge. L’un étant la Loi et l’autre sa transgression, les deux se nourrissent et se légitiment sans cesse l’un l’autre. Et puis il est question de Jésus, qui a tenté d’apporter aux hommes une parole d’amour. Jésus qui a tenté de séparer les hommes de leur appétit pour la domination, la vengeance, la hiérarchie, l’orgueil.
Bref, j’ai découvert les gnostiques et j’ai été fasciné par eux, même si je ne comprenais pas grand-chose. J’étais au début d’une romance personnelle avec les textes sacrés, romance qui est passée par la lecture de La Bible, du Coran, des soufis, des taoïstes, des hindouistes, des bouddhistes, des kabbalistes, des philosophes hermétiques de la Renaissance, René Guénon, Raymond Abellio, etc. Au bout de quelques années passées à lire tout autant La Baghavad Gita que Le Zohar, il m’a semblé de plus en plus évident que ceux qu’on appelait les « gnostiques » étaient ceux qui m’intéressaient le plus, ceux qui me parlaient et vis-à-vis desquels j’avais quelque chose à dire ou à faire. Même si Henry Corbin et Sohrawardi ont compté énormément dans ma formation personnelle, en particulier dans l’élaboration des « protocoles » d’écriture exégétique, dans ma vie spirituelle, tout était parti des « gnostiques » et revenait à eux.
Même les poètes qui m’avaient tant ému dans mes jeunes années, Gérard de Nerval, Alfred Jarry ou Roger Gilbert-Lecomte, avaient élogieusement évoqué les « gnostiques ». Nerval se revendique ouvertement des « doctrines des Gnostiques » dans Les Illuminés. Dans un texte publié dans La Revue Blanche, Jarry fait l’éloge de L’Arbre gnostique de Fabre des Essarts, un livre de synthèse des connaissances que l’on pouvait avoir des gnostiques à la fin de la XIXe siècle, et il conclue ainsi son article : « Le Christ n’est pas venu accomplir l’ancienne loi de Jéhovah le Démiurge, mais l’abolir. Toutes les religions adorent le Démiurge ; la gnostique : Dieu. » Enfin Roger Gilbert-Lecomte explique ainsi le rattachement spirituel de sa revue Le Grand Jeu : « Le Grand Jeu prétend se rattacher à la tradition orientale hindoue gnostique cabalistique pythagoricienne. Développement hérésiarque qui s’est fait parallèlement au développement officiel aristotélicien, thomiste, positiviste, etc. »
Pour ne rien dire enfin d’André Breton dont je redécouvrirai tardivement, après l’écriture de La victoire des sans roi, un texte fondamental, Flagrant Délit, consacré au faux Rimbaud, et qui était « coupé » par la dépêche AFP annonçant la découverte du codex de Nag Hammadi.
« Les Gnostiques sont à l’origine de la tradition ésotérique qui passe pour s’être transmise jusqu’à nous, y écrit Breton. Or, il est remarquable que les poètes dont l’influence se montre aujourd’hui la plus vivace, dont l’action sur la sensibilité moderne se fait le plus sentir (Hugo, Nerval, Baudelaire, Rimbaud, Lautréamont, Mallarmé, Jarry) ont été plus ou moins marqués par cette tradition. Mieux même, il semble que souvent, sans l’avoir aucunement en vue, alors qu’ils s’abandonnaient en toute solitude à leur voix intérieure, il leur arriva de recouper cette tradition, d’abonder dans son sens par une autre voie. Il y a là un grand mystère sur lequel nous sommes quelques-uns à demeurer penchés. »
Les « gnostiques », les « manichéens » et les « cathares » me parlaient davantage que les autres courants mystiques ou visionnaires sans doute parce qu’ils étaient plus étranges et mystérieux que les autres. Mais aussi parce qu’ils étaient moins corrompus humainement. Ils avaient des idéaux plus généreux et ils avaient essayé de se hisser à la hauteur de leurs idéaux. Ils étaient profondément pacifiques. Ils n’étaient ni virilistes ni carnistes, ni racistes ni manipulateurs. Ils avaient été détestés par les autres alors qu’ils n’avaient détesté personne et servaient généralement de repoussoir doctrinal ou intellectuel.
Lorsque j’ai écrit ce livre, j’ai d’abord décidé de comparer les « gnostiques » ou les « manichéens » aux figures du christianisme qui s’étaient attaqués à eux : les saints et les théologiens qui avaient, de façon assez notoire, lutté « contre les hérésies ». Et j’ai évalué leurs divergences à partir d’un critère volontairement très simple, voire simpliste : la parole de Jésus, et les actes qui étaient cohérents vis-à-vis de celle-ci.
Pour prendre un exemple (je ne vais pas les refaire tous, il me faudrait alors réécrire mot pour mot La Victoire des Sans Roi) : si Jésus a dit explicitement et sans ambiguïté de ne pas répondre à la violence par la violence, ma question n’est pas alors de savoir si Jésus a eu raison de refuser la violence, mais qui a appliqué concrètement cette idée. La question, comme dirait le jeune entrepreneur, « elle est vite répondue ». Les chrétiens ont été violents, et ont cautionné la violence contre les ennemis de leur foi. Si on me répond que c’est la tragédie de l’homme dans l’Histoire, et que nul n’échappe à cette tragédie ou cette contradiction qui consiste à défendre la paix par la guerre, ou l’amour par la haine, il n’est pas difficile de leur opposer l’exemple de ceux que les chrétiens ont appelés « gnostiques », « manichéens » ou « cathares », et qui, eux, n’ont pas répondu à la violence des chrétiens par la violence, quitte à se laisser exterminer par les chrétiens. Toute personne légitimant cette violence, notamment l’extermination des cathares, a sans doute le droit de se dire « chrétienne », mais pour moi elle est l’incarnation de ce que Jésus réprouve et contre quoi il a tenté d’expliquer aux hommes le caractère malheureux, délétère et vain.
Je pense que vous avez compris. Les premiers chapitres de La Victoire des Sans Roi suivent progressivement le récit et la pensée de Jésus, de Simon le Magicien, de Basilide, de Valentin, de Mani, des cathares… Puis j’y fait le récit de la découverte des manuscrits de Nag Hammadi en 1945, et puis une première approche des grandes révélations propres à ces textes dont notre découverte est récente et les exégèses encore peu nombreuses. En particulier concernant les domaines de l’amour, de l’art et de la politique.
Après la rédaction de La Victoire des Sans Roi, je pensais développer ou déployer ces trois grands axes dans trois autres livres ultérieurs. Le premier sur l’amour, le deuxième sur l’art, le troisième sur la politique. L’amour est le sujet de Sycomore Sickamour. On m’a demandé ici de revenir sur ce sujet : l’amour chez les Sans Roi. Je peux le faire succinctement mais Sycomore Sickamour le fait très longuement.
Je me contenterai d’évoquer ici la différence du traitement de la personne de Marie de Magdala dans les textes chrétiens et les textes « gnostiques ». Dans le Nouveau Testament, Marie de Magdala est présentée comme une possédée que Jésus délivre de sept démons et devient ensuite une de ses disciples. Elle apparaît également, auprès de Jeanne et de Suzanne, comme l’une des femmes qui « assistaient Jésus de leurs biens ». C’est une mécène, en gros. Elle assiste à la mise en croix comme à la mise au tombeau du Christ et elle est le premier témoin de la Résurrection. C’est à peu près tout.
Étrangement, elle sera assimilée à la femme pécheresse à partir de Grégoire le Grand en 591 et ensuite couramment considérée comme une prostituée repentie. C’est seulement en 1969 que Paul VI met fin à cette mauvaise blague en exigeant qu’elle ne soit plus fêtée comme « pénitente » mais comme « disciple ».
Son rôle est cependant très différent dans les textes des Sans Roi. Dans la Pisti Sofia, Jésus déclare Marie et Jean supérieurs aux autres disciples. Et dans le Dialogue du Sauveur, Jésus emporte Marie, en compagnie de Thomas et de Matthieu, dans un voyage dans les mondes et à travers les éons d’où elle ressort éblouie. « Tu es terrible et merveilleux, dit alors Marie à Jésus. Tu es un feu qui consume ceux qui ne le connaissent pas. » Par trois fois, on montre Pierre jaloux de la relation privilégiée entre Marie et Jésus. Dans L’Évangile de Thomas, Pierre dit : « Que Marie de Magdala sorte de parmi nous, car les femmes ne sont pas dignes de la vie. » Dans la Pisti Sofia, il proteste contre celle qui « nous enlève la place en ne laissant parler aucun de nous, alors qu’elle parle une foule de fois » (Jésus répond : « Celui en qui la puissance de l’Esprit de Marie bouillonnera pour lui faire comprendre ce que je dis, que celui-là s’avance et qu’il parle »). Enfin dans L’Évangile de Marie, la puissance de sa parole l’exaspère ainsi que l’importance que lui donnait Jésus : « Est-il possible qu’il se soit entretenu avec une femme en secret – à notre insu – et non ouvertement si bien que nous devrions, nous, former un cercle et tous l’écouter ? Est-il possible qu’il l’ait choisie de préférence à nous ? » Pierre d’ailleurs ne tarde pas à se faire remonter les bretelles par Lévi : « Depuis toujours, tu es un tempérament bouillonnant. Je te vois maintenant argumenter contre la femme comme un de nos adversaires. Si Jésus l’a décrétée digne, qui es-tu, toi, pour la rejeter ? »
Mais surtout, dans L’Évangile de Philippe, Marie est explicitement présentée comme la compagne de Jésus : « La compagne du Sauveur était Marie de Magdala. Il l’aimait plus que tous les disciples et il avait l’habitude de la baiser tendrement sur la bouche. Les autres disciples s’en scandalisèrent et le désapprouvèrent. » Jésus amoureux, c’est un événement si important qu’il mérite qu’on s’y arrête, parce qu’il lève une fois pour toutes, en même temps qu’une image malsaine de dieu puceau, la malédiction historiquement attachée à l’amour charnel dans le christianisme. Or, que dit Jésus de l’amour charnel dans L’Évangile de Philippe ? « Faites l’expérience d’une étreinte pure, elle possède une grande puissance. Le mystère qui unit deux êtres est grand, sans cette alliance le monde n’existerait pas. L’étreinte selon le monde est déjà un mystère, combien plus l’étreinte qui incarne l’alliance cachée. Ce n’est pas une réalité seulement charnelle. Il y a du silence dans cette étreinte. Elle n’est pas obscure, elle est lumière. L’étreinte du Bien-aimé et de la Bien-aimée appartient au mystère de l’Alliance et nul ne peut les voir à moins d’être devenu ce qu’ils sont. »
Je pense que je n’ai pas besoin de souligner à quel point cette vision de l’amour diffère de l’habitude prise dans la théologie chrétienne de tout voir sous la lumière du péché originel, de la Loi et de la transgression. Il s’agit ici de la spiritualisation de la sexualité, de l’harmonie entre l’âme et le corps par la puissance de l’« étreinte pure » et de de l’« étreinte qui incarne l’alliance cachée ».
L’art est clairement le sujet de L’enquête infinie. La réalité pensée comme un labyrinthe dans laquelle l’âme tombe et dont elle essaie de sortir en comprenant, par l’art, la nature de ce labyrinthe et ainsi trouver la possibilité d’en sortir.
D’où l’importance de revenir à L’Exégèse de Philip K. Dick, ce texte écrit sur les huit dernières années de sa vie, d’avril 1974 à mars 1982, et dont on ne connaît encore que des extraits à travers une première sélection opérée par Pamela Jackson et Jonathan Lethem en 2011 et que Hélène Collon a traduite entre 2015 et 2016. « Mes romans sont des labyrinthes intellectuels, écrit Philip K. Dick dans L’Exégèse. Et moi je suis dans un labyrinthe intellectuel quand je m’efforce de comprendre notre condition (qui nous sommes et comment nous sommes arrivés en ce monde) ainsi que le monde comme illusion, etc. parce que c’est justement cette condition qui est un labyrinthe qui se replie sur lui-même. Il est dans la nature du labyrinthe, qui est quasi vivant, de freiner la connaissance. Le dessein du labyrinthe est d’instaurer et de maintenir le désordre parce que du désordre naît l’aberration, un état qui entraîne chez nous la confusion intellectuelle, phénomène qui, à son tour, contribue à faire échouer nos efforts pour comprendre, posséder la connaissance – le bien essentiel à détenir pour triompher du labyrinthe. Par conséquent, labyrinthe = désordre ou anti-gnose. »
La pensée de Dick et, à travers lui, ce « nouveau testament gnostique » qu’est L’Exégèse,implique une vision dialectique de la révélation divine. Dès qu’une vérité divine devient système, dès qu’elle tend à se substituer à toutes les autres approches possibles de la vérité, elle se transforme, ne serait-ce que dans ses effets, en son contraire. Puisqu’elle cesse d’être un instrument d’émancipation, et devient un mécanisme d’oppression. La révélation de Dick implique que toute vérité obtenue ne l’est que pendant un temps défini, parfois très court, parfois plus long, mais elle n’est jamais pérenne, ou plutôt elle doit toujours être rafraichie par la totalité du parcours qui nous a permis de l’obtenir, et, comme on ne repasse pas deux fois par les mêmes points, elle se sera nécessairement transformée avec le Temps. On ne se baigne pas deux fois dans le même fleuve conceptuel. Il faut toujours reprendre tout, tout le temps, parce que rien n’est établi, et seul le chemin qui a permis d’établir quelque chose pendant un temps donné a pour lui-même valeur de vérité.
En outre, Dick compare à plusieurs reprises le Démiurge au Minotaure. Ce qui implique un élément nouveau par rapport aux textes de Nag Hammadi. Non seulement le Démiurge n’est pas le créateur de l’homme, mais il est sa création. L’homme a créé le Démiurge et ce dernier s’est autonomisé, et il a fini par dominer l’homme et le faire vivre cette vie de prison ou d’hôpital dont nous ne sortons pas. Si nous arrivons à nous défaire cette habitude de confondre Dieu et le Démiurge, peut-être arriverons-nous à nous défaire de cette servilité que nous avons envers tous les salopards qui nous dirigent et nous font une vie épouvantable. Tous ces salopards que nous acceptons pour maîtres.
Je n’ai pas encore écrit le livre sur la politique découlant de la révélation des Sans Roi et je ne sais pas si je serai capable de le faire, mais je le souhaite. Et j’ai quelques idées assez précises le concernant.
Parmi les choix un peu radicaux que j’ai fait à l’époque de La Victoire des Sans Roi et que j’ai conservé par la suite, il y a celui de ne plus utiliser ce terme de « gnostique ».
Tout d’abord, le terme lui-même vient des chrétiens, pas des « gnostiques » eux-mêmes, à la différence de Sans Roi, abasileus genea, qui est le nom que Jésus donne à ses amis dans plusieurs textes de Nag Hammadi.
L’ambiguïté est redoublée par le fait que certains chrétiens, comme Clément d’Alexandrie, utilisent le terme de « gnose » dans un sens non-péjoratif, se revendiquant d’une véritable « gnose » dont les « gnostiques » feraient un mauvais usage.
Puis, il y a l’utilisation de « gnostique » au XIXe et au XXe siècle, et le récit complexe de ses usages, dans un monde dominé par l’ésotérisme et l’occultisme (L’Église Gnostique de Jules Doisnel mériterait un travail en soi, je compte m’y atteler un jour).
« Gnostique », comme beaucoup de termes, est devenu un enjeu de pouvoir : qui est le véritable gnostique, je suis le véritable gnostique, tu es ou n’es pas un vrai gnostique, etc. etc. Rasoir.
Parmi mes choix, il y avait aussi celui de ne pas essayer de résumer ou de faire la synthèse des différents systèmes métaphysiques et cosmiques exposés dans les réfutations chrétiennes ou dans les textes de Nag Hammadi. De ne pas m’étendre sur les syzygies, les éons, le nom des Archontes, les formes de la Sofia, etc. La raison principale est que, dans un premier temps, ils ne me semblaient pas aussi essentiels qu’ils en ont l’air. Je suis conscient que c’est un point sur lequel on peut facilement me contredire, et j’admets que cela relève peut-être d’une limite personnelle. Aujourd’hui, j’ai tendance à le comprendre ainsi : chaque Sans Roi a fait « son » voyage, a perçu son « espace imaginal », et a rencontré « ses » formes de la divinité qui correspondent à la structure même de son âme, à « son » image du labyrinthe. Le « cosmos » de Basilide n’a pas plus de réalité que celui de Twin Peaks, par exemple ; mais pas moins non plus. Tous les grands visionnaires des derniers siècles, qu’ils aient été des mystiques comme Jacob Boehme ou Swedenborg ou des poètes comme Blake ou Nerval ont fait des voyages qui se rapprochent de ceux des Sans Roi. Chaque voyage a du sens si on veut comprendre l’homme qui l’a fait, parce qu’il décrit son propre labyrinthe, mais ce qui compte vraiment, à mon sens, c’est ce qu’il a trouvé pour s’en libérer. Je suis moins intéressé par le descriptif des enfers de Swedenborg par exemple que par l’idée que les damnés s’y infligent eux-mêmes un désir insatiable, un appétit qui semble ne pas pouvoir être rassasié.
Bien entendu, le labyrinthe de Swedenborg, comme le labyrinthe de Valentin, ou le labyrinthe de Blake, doit être retraversé si on veut saisir l’homme. Mais ce qui m’intéresse, c’est le moment où il réussit à faire exploser son labyrinthe, parce que mon but est de faire exploser le nôtre. Nous devons sortir du labyrinthe avant que ses murs se resserrent tant que nous étoufferons. Il y a urgence et nous le savons.