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Ubu et le Coronavyrus
Texte publié en février 2021
Paru en 2021

Contexte de parution : Le livre sans visage

Présentation :

Pièce en un acte écrite pendant le deuxième confiment et publiée sur le blog Le Livre Sans Visage. 






Scène première

 

L’action se passe en France, c’est-à-dire Nulle Part. 

La Mère Ubu, son masque-à-cul sur le visage, est en train d’éditer sur son compte instagram les dernières photos de ses excréments. 

Le Père Ubu, baissant et remontant alternativement son masque-à-cul, entre dans le salon et est soudain pris de panique.

 

PERE UBU

A moi ! A moi ! Au secours !

 

MERE UBU

Que vous arrive-t-il, Père Ubu ? C’est le masque-à-cul ?

 

PERE UBU, tremblant

Vous portez le masque-à-cul, Mère Ubu ?

 

MERE UBU

Oui, Père Ubu, je porte le masque-à-cul, évidemment. Vous ne le voyez pas ?

 

PERE UBU, bredouillant

Vous portez le masque-à-cul, vous portez le masque-à-cul, Mère Ubu ?

 

MERE UBU

Père Ubu, cessez de vous agiter comme ça. Je vous dis que oui. 

 

PERE UBU

Cornegidouille, je n’y comprends rien. Même avec lui, vous êtes toujours aussi laide.

 

MERE UBU, en colère

Ah, Père Ubu, si je ne respectais pas les gestes barrière…

 

PERE UBU

Respectez, Mère Ubu, respectez ; c’est pour la protection de nos compatriotes les plus vulnérables. 

 

Le Père Ubu se met à la table du salon et commence à regarder un débat télévisé. Les chroniqueurs semblent en désaccord mais ils parlent tous en même temps et on ne peut rien comprendre à ce qu’ils disent. 

 

PERE UBU

C’est tout de même incroyable, Mère Ubu. 

 

MERE UBU

Quoi donc, Père Ubu ?

 

PERE UBU

On se plaint sans arrêt de notre politique sanytaire : les français voudraient sortir le soir, les restaurateurs voudraient ouvrir leurs restaurants et les théâtreurs leurs théâtres. Alors qu’ils ont les internets pour passer le temps et les livreurs pour leur livrer la merde à domicile. Quelle nation de procureurs. Qu’ils essaient la dictature et ils verront. Qu’ils aillent en dictature, mais qu’ils y aillent, cornegidouille. 

 

MERE UBU

Qu’ils aillent en dictature ? Qu’ils aillent en dictature ? Mais comment veux-tu qu’ils y aillent, Père Ubu ? Ils ont interdiction de quitter le territoire. 

 

PERE UBU

De par ma chandelle verte, Mère Ubu, si tu continues à me contredire, tu vas passer par la casserole. Nous ne sommes tout de même pas en Corée du Nord. Est-ce qu’en Corée du Nord, on se soucierait comme nous de la protection des plus vulnérables ?

 

MERE UBU

Père Ubu, je t’avoue : tu me surprends. 

 

PERE UBU

En quoi, Mère Ubu ?

 

MERE UBU

C’est bien la première fois que je t’entends te soucier du sort des plus vulnérables.

 

PERE UBU

De par ma chandelle verte, voilà qui est tout à fait normal. Nous sommes en guerre contre un ennemi invisible.

 

MERE UBU

La Phynance ?

 

PERE UBU

Ah, que ne vous assom’je, Mère Ubu, tu n’y comprends rien. Tu me prends pour Hollande ? Avec tes âneries, tu m’empêches de réaliser la tâche que le peuple m’a confié et dont le besoin se faisait sentir. Je dois protéger les plus vulnérables.

 

MERE UBU

Tu l’as déjà dit plusieurs fois, Père Ubu, mais que fais-tu pour la protection des plus vulnérables ?

 

PERE UBU

C’est bien simple, Mère Ubu, je leur retire tout ce qui peut les fatiguer : le cinéma, le théâtre, les musées, les dîners entre amis, les soirées, les apéros, les restos, les salles de sport, les fêtes… 

 

MERE UBU

Mais, Père Ubu, il ne leur reste plus rien !

 

PERE UBU

Bien au contraire, Mère Ubu, puisque je leur laisse précisément ce qui les maintient en forme : le travail. 

 

MERE UBU

Quelle générosité, Père Ubu. 

 

PERE UBU

Si je m’écoutais, d’ailleurs, je les ferais travailler 24 heures par jour. Hélas, Mère Ubu, je dois bien mettre un frein à ma générosité.

 

MERE UBU

Pourquoi donc, Père Ubu, puisque tu es d’humeur si altruiste ?

 

PERE UBU

Tu n’y comprends donc rien, Mère Ubu ? S’ils travaillaient 24 heures par jour, ils seraient en si bonne santé que les hôpitaux seraient vides. Et ce seraient les soignants qui n’auraient plus de travail et qui deviendraient aussitôt vulnérables. 

 

MERE UBU

Nous en sommes loin. Les hôpitaux sont engorgés, Père Ubu. 

 

PERE UBU

C’est une bonne nouvelle, Mère Ubu. Cela veut dire que notre Politique Sanytaire contre l’ennemi invisible fonctionne. 

 

MERE UBU

Ah oui ?

 

PERE UBU

A chaque fois que l’hôpital se désengorge, nous retirons des lits, adoncques nous gardons le plateau stabilisé à un niveau alarmant. L’important est de ne surtout pas quitter le plateau, et qu’il soit toujours alarmant. La Politique Sanytaire est la Science. Mais l’heure tourne, Mère Ubu, l’heure tourne. Nous sommes Jeudi et il est temps de réunir nos ministres pour leur communiquer nos nouveaux scénarios. 

 

 

Scène II

 

Arrivent Jean Casse-noix et Olivier Verrue. Verrue porte très bien son masque-à-cul, qu’il lisse en permanence. Casse-noix, par contre, l’a mis sur ses yeux par inadvertance. 

 

CASSE-NOIX

Môssieur Ubu, nous sômmes à vôs ôrrrrdres.

 

PERE UBU

Ah, ce n’est pas trop tôt ! Nous sommes Jeudi, cornegidouille. 

 

VERRUE

Ah oui, ze soir, ze doit aller parler à la télévizion de la réalité de nos zhopitaux. Sire, que voulez-vous que z’annonce concernant la réalité de nos zhopitaux ?

 

PERE UBU

Dites-leur que nous avons évoqué beaucoup de scénarios, cornegidouille, mais nous n’en sommes pas encore satisfaits. 

 

CASSE-NOIX

Je pensais annôncer vôôôtre décision, Sire.

 

UBU

Laquelle Casse-Noix ?

 

CASSE-NOIX

Eh bien, celle que vous nous avez évoquée hier. 

 

UBU

Cornegidouille, j’ai déjà oublié.

 

CASSE-NOIX

Le nouveau couvre-feu. Le couvre-feu à 16h ! 

 

UBU

Ah oui, le nouveau couvre-feu. Non, ne l’annoncez surtout pas. Casse-noix, tu n’as pas compris le sens du nouveau couvre-feu. 

 

VERRUE

Ze n’est pas pour améliorer la réalité de nos zhopitaux ?

 

UBU

Verrue, tu commences à me les courir. Si tu continues comme ça, ta question, elle sera vite répondue. Je fermerai tous tes hôpitaux et les soignants devront traverser la rue pour trouver un nouveau travail. Elle sera là la réalité de tes zhôpitaux. 

 

CASSE-NOIX

Mais Môssieur Ubu, votre souci n’est pas la sânté des françççais ?

 

UBU

De par ma chandelle verte, vous n’y comprenez rien. C’est pour notre phynance ! L’intérêt d’un changement de couvre-feu, c’est qu’il ne puisse pas être respecté. Ainsi, nos palotins pourront mettre la populace à l’amende. Si nous les prévenons trop tôt de nos décisions sanytaires, les français auront le temps de se préparer et ils seront déjà rentrés avant que nous n’ayons pu les sanctionner. Il faut savoir les prendre par surprise, cornegidouille. 

 

CASSE-NOIX

Vous n’avez pas peur d’une rebelliôôn ?

 

VERRUE

Zut, ze vais encore me faire engueuler à l’azemblée. 

 

UBU

Casse-Noix, Verrue, notre décision est prise. Ce soir, vous parlerez de la magnifique stabilité alarmante de notre plateau, et sa supériorité sur celle de nos voisins européens, mais vous ajouterez que nous avons tout de même des scénarios prêts si jamais nous devions faire face à de nouveaux engorgements dus aux différents variants. Demain, nous ferons un couvre-feu surprise à 16h, et une fois que nous aurons contrôlé les contrevenants, et récupéré toute la phynance, alors, alors seulement, à 18 heures, vous l’annoncerez. 

 

Casse-noix et Verrue se retirent. 

 

 

Scène III

 

Le Père Ubu fait un selfie de lui-même avec son masque-à-cul et s’apprête à le poster comme nouvelle photo de profil sur ses différents comptes. La Mère Ubu revient de la cuisine. 

 

MERE UBU

Père Ubu, tu es un idiot. Si tu baisses l’heure du couvre-feu, ton peuple travailleras moins et tu resteras gueux comme un rat.

 

PERE UBU

Ah, mère Ubu, si tu continues à me parler sur ce ton, c’est moi qui vais rompre les gestes barrière et te contaminer !

 

MERE UBU

J’aimerais bien voir ça. Es-tu seulement malade, Père Ubu ?

 

PERE UBU

Mère Ubu, je ne peux pas le savoir, je suis patasymptomatique. Couvre-feu à 16h ce sera, je ne reviens jamais sur ma parole, ce n’est pas digne de moi. 

 

MERE UBU

En attendant, nous n’aurons jamais les moyens de refaire les murs de notre palais. 

 

PERE UBU, après réflexion, 

Mère Ubu, j’ai la solution : je baisserai l’heure du couvre-feu à 16h, mais je permettrai aux français munis d’une attestation de travailler jusqu’à 20. Ensuite, je frapperai toutes les attestations de nullité. Comme ça, tous les soirs, une fois sortis du travail, les français seront systématiquement en infraction, et ils seront sévèrement sanctionnés par nos salopins. Tu verras, Mère Ubu, réduits à la misère, ils devront travailler encore plus, ce qui les maintiendra en bonne santé. Alors, non seulement nous aurons récupéré toute la phynance, mais nous aurons bien aidé nos compatriotes…

 

MERE UBU

… les plus vulnérables. 

 

PERE UBU

… les plus vulnérables, Mère Ubu. 

 

MERE 

Tu es un Saint, Père Ubu !

 

PERE UBU

Non, Mère Ubu. Je suis un Dieu. Et maintenant retirez votre masque-à-cul, que je puisse constater votre laideur. 

 

 

FIN