Préface de la réédition du livre de Cholé Delaume La Nuit je suis Buffy Summers en 2020.
Saison 13. Reprise de l’épisode. Les aventures de Chloé Delaume au pays de l’Autofiction.
La Règle du Je
Chloé Delaume, c’est la guerre. C’est la Tueuse, la Slayer des Lettres. Le feuilleton dont elle est l’héroïne se déroule déjà depuis 20 saisons et 26 livres. Armée initialement d’un bito-extracteur, devenue depuis experte en sortilèges, Chloé Delaume a affronté une multitude de démons, parmi lesquels le Patriarcat, la République Bananière des Lettres – qui est à Chloé ce que l’agence d’avocats Wolfram & Hart est à Angel, avec Sollers dans le rôle de Holland Manners – et le Capitalisme : « C’est super compliqué, le capitalisme triomphant. Une fiction qui a mal tourné, les héroïnes toutes des scream queens. C’est prévu comme ça depuis la première ligne dans la bible scénaristique. »
Chloé Delaume est l’héroïne d’une Baghavad Gita des Temps Modernes. Une Baghavad Gita des Temps de la Fin. L’Apocalypse traverse tout son auto-feuilleton, des Moufflettes d’Atropos (2000), où la narratrice découvre le graffiti « La Fin d’un monde s’annonce par des signes contradictoires » (il faut attendre Où le sang nous appelle 15 ans plus tard pour connaître le contexte de ce graffiti) à Une femme avec personne dedans (2012) dont la quatrième de couverture annonce la couleur : « L’Apocalypse n’est pas un événement visible, parce qu’elle frappe individuellement. » Et bien sûr, dans La nuit je suis Buffy Summers : « L’Apocalypse fait sa rentrée et moi je dois la repousser comme une grosse pierre en haut d’une colline toute pelée. »
« Je m’appelle Chloé Delaume. Je suis un personnage de fiction. » Chloé Delaume est le premier auteur de littérature autobiographique à avoir fait de son pseudonyme l’identité d’un personnage de fiction. Voire celui d’un esprit habitant un corps qui n’avait initialement rien demandé : « J’ai très officiellement pris possession des lieux l’été de ses vingt-six ans. » Quand ce n’est pas carrément : « Je m’appelle Chloé Delaume, je suis un personnage de fiction et, Seulement je n’ajoute pas la vérité première et pourtant je le sais : je suis une maladie. »
Chloé Delaume est aussi une identité de super héroïne s’extrayant de l’âme d’une jeune fille innocente ayant subi une succession d’épisodes traumatiques depuis sa naissance en 1973 : la guerre civile à Beyrouth en 1975, le départ à Paris, l’assassinat de sa mère par son père suivi du suicide de ce dernier en 1983, l’époux abusif et trompeur, la prostitution. Chloé Delaume naît de Nathalie Dalain comme Batman de Bruce Wayne ou Catwoman de Selina Kyle. Et La dernière fille avant la guerre peut, à ce titre, être lu comme une « origin story » dans lequel son individualité adolescente apparaît sous son deuxième prénom, Anne. Anne est également le deuxième prénom de Buffy et il est difficile d’y voir une simple coïncidence. Toutes les filles dont le deuxième prénom est Anne mènent une guerre sans merci à ce que la vie peut avoir de tragique.
Alors, Buffy. Le 10 mars 1997 est diffusé le premier épisode de la célèbre série créée par Joss Whedon. Elle connaîtra sept saisons entre 1997 et 2004. Suivie par son spin off, Angel, qui en connaîtra cinq entre 2000 et 2005. Soit 144 + 110 : 254 épisodes de 42 minutes ; 178 heures de fiction. Buffy contre les Vampires raconte l’histoire d’une jeune fille blonde qu’on appelle parfois l’Elue (« The Chosen »), parfois la Tueuse (« The Slayer »), parce qu’elle se trouve être la seule à pouvoir débarrasser la ville de ses vampires et démons. Whedon expliquera que son point de départ était l’inversion de la formule commune à la majorité des récits d’horreur : la jeune fille blonde qui se fait tuer par le monstre dans une ruelle sombre. Il détruisait alors un poncif esthétique qui avait été gravé dans le marbre par Edgar Allan Poe lui-même, soit la « mort d’une belle jeune femme » perçue comme le sujet « le plus poétique du monde ». Ainsi que les règles implicites de tout récit de vampire depuis le récit de Polidori en 1819, où meurent successivement Ianthe, la bien aimée du héros, et la sœur de ce dernier. Et Dracula de Bram Stoker en 1897 où Lucy succombe aux dents du « Maître ». Buffy, c’est la guerre.
De même, le destin de la narratrice des Moufflettes d’Atropos semble d’abord être de servir d’épouse cocufiée et corvéable à merci à un écrivain mégalomane à la morale personnelle peu exigeante. Mais le premier rôle de l’histoire n’est pas celui qu’on croit. Et c’est Chloé Delaume qui conquiert, à force de rigueur esthétique et d’exigence éthique, le statut de grand écrivain – si cette appellation n’était pas un tantinet pompeuse pour le futur auteur de livres si drôles (et si tristes à la fois). Oui : de la même façon que Buffy contre les Vampires a détourné le récit fantastique de sorte à ce que la peur change de camp – et les démons cons et méchants auront désormais peur des femmes bien – de la même façon, la littérature de Chloé Delaume, dès son premier livre, est émancipatrice, violemment poétique et fondamentalement politique. Cette littérature est d’une extraordinaire générosité, démontrant qu’on peut tout à fait être un génie et quelqu’un de bien. Ni bourreau ni victime : guerrière. Chloé est une ksatriya.
Dans Buffy comme chez Delaume, la Tueuse n’affrontera que des incarnations du pouvoir : petits amis merdeux, maris abusifs, patrons relous, politiciens corrompus, écrivains sans cœur, fausses amies traitresses, nerds cyniques, etc. Autre point commun entre nos deux héroïnes : de la même façon que, lorsqu’ils regardent Buffy contre les vampires, les hommes s’identifient à Buffy et non aux personnages masculins (ils ont envie de devenir Buffy, ils désirent son courage, sa drôlerie, sa bonté) ; de la même façon, la littérature de Chloé Delaume, féministe de la quatrième vague, même si elle ne cesse de s’adresser à ses sœurs, est loin de ne parler qu’aux filles. Et tout homme qui lit Chloé ne se sent pas seulement du côté de Chloé : il se sent devenir Chloé. Il n’y a pas que la peur qui change de camp, il y a aussi les devenirs.
Chloé-Delaume-comme-personnage-de-fiction naît de la rencontre entre l’héroïne de L’Ecume des jours et une certaine traduction de Lewis Carroll : « J’ai imposé Chloé cancer du nénuphar ; extrait l’arve de l’aume pour toujours me trouver de l’autre côté du miroir. Reconfiguration jusqu’à mon ombilic, se détacher des limbes, oui, une bonne fois pour toutes. Boris Vian se débattait, Artaud aussi, je me souviens. Ils se refusaient sec, à m’engendrer, je sais. Je les ai violentés : née de père et de père. Je me suis moi-même engrossée. » A la fois mourante (l’héroïne de Vian succombe à son nénuphar dans une des morts les plus insupportablement tristes de toute l’histoire de la fiction – avec celle de Fred dans Angel) et immortelle (par l’intercession d’Artaud qui ne voulait pas se laisser mettre au tombeau : « C’est toujours par pitié pour les autres qu’on se laisse aller au cercueil, qu’on se fait descendre »), la mort devient le « cadeau » de Chloé. Ce qui veut dire que, comme Buffy, elle meurt et ressuscite sans cesse. Et son œuvre semble également se déduire du dialogue hautement philosophique entre la petite fille et l’homme-œuf : « La question est de savoir, dit Alice, si vous avez le pouvoir de faire dire aux mots tant de choses équidistantes, multiples et bourriglumpies de variantes infinies. » « La question est, dit Dodu Mafflu, de savoir qui est le Maître… et c’est tout. » La littérature est un jeu de pouvoir sur la langue dont vous êtes la super-héroïne… et c’est tout.
La littérature de Chloé Delaume peut se lire comme un récit fantastique. Une histoire de possession : « S’écrire, c’est pratiquer une forme de sorcellerie. » Et puis, dans J’habite dans la télévision : « Arrêter de croire au surnaturel, c’est incroyablement plus violent et ardu que de se désenvoûter des benzodiazépines. Le cortex doit être inflexible, il faut une volonté d’acier pour ne pas succomber aux perches et aux paniers du Nil, je renonce à Dieu à Satan et à leurs psychopompes mais quand même aujourd’hui il y avait de quoi douter. »
Avec Dans ma maison sous la terre, l’écriture devient concrètement magie noire. Il s’agit de tuer quelqu’un, en l’occurrence la grand-mère de la narratrice : « J’écris pour que tu meures. Puisque tu es vivante, encore tellement vivante que c’en est indécent. Ce qu’il faut à présent c’est que tu lises ces lignes et qu’enfin tu en crèves, que ton cœur se fissure, que le granit implose ; tes artères un brasier, le sang bout le sais-tu à combien de degrés, tes valves ravagées incendie poitrinaire. » On retrouve Artaud et ses sorts. Ceux qu’il envoie à Sonia Mossé : « Tu vivras morte. Tu n’arrêteras pas de trépasser et de descendre ». Au docteur Fouks : « Quand j’ai pensé à vous, j’ai pris ma cigarette. J’ai fermé les yeux, j’ai piqué au hasard et depuis vous êtes hors d’atteinte de vos ennemis et des initié. ». Ou à Grillot de Givry : « Et ce sort ne sera pas rapporté. Il ne sera pas reporté. Son efficacité d’action est immédiate et éternelle. »
A plusieurs reprises, comme pour rappeler au lecteur où il doit se situer dans cette autofiction expérimentale, Chloé Delaume fait elle-même des résumés des épisodes précédents. « Etre monnaie vivante, ou avatar virtuel, écrit-elle pour résumer Les moufflettes d’Atropos, Corpus Simsi, Certainement pas, Les juin ont tous la même peau et J’habite dans la télévision : Internée à Sainte-Anne. Pratiquant un rituel pour rentrer en contact avec le spectre de Boris Vian. Mettre vingt-deux mois durant mon cerveau en disponibilité. » Ou en début de Une femme avec personne dedans, son dernier livre d’auto-fiction à ce jour, après un constat un peu froid sur ce qui a déjà été écrit : « La question qui sous-tend les trois quarts de mes livres reste quand même un qui suis-je exploré sans harnais. » Pour ajouter, avec une ironie sèche : « Saison 10 en Enfer. Silhouette plus qu’alourdie depuis le dernier épisode, une quinzaine de kilos. Cheveux noirs, pupille fixe. Gros plan. »
C’est très tardivement que Chloé Delaume cessera d’osciller entre christianisme et antithéisme et trouvera dans la société des sorcières sa terre promise (comme Willow !). Elle fera de son apostasie le sujet d’un des chapitres de Une femme avec personne dedans et de la sororité le combat de ses principaux livres suivants Les sorcières de la République et Mes bien chères sœurs. Pourtant l’ésotérisme planait dès le premier épisode : « A chacun son Hermès. Trismégiste ou Saint-Honoré. Ca dépend des faubourgs. »
Dans un grand nombre de ses livres, malgré ou à cause de la présence de la magie, la crainte de la folie revenait sans cesse. Encore et encore. Elle était même au cœur du roman Certainement pas, dans lequel 6 membres de la République Bananière des Lettres préféraient sombrer dans la démence plutôt que de devoir assumer les conséquences de la trahison de leurs idéaux. Et la crainte de la folie apparaissait toujours plus ou moins sous le mode de l’appartenance au « peuple des pyjamas bleus ».
C’est dans l’épisode 13 de son auto-feuilleton, La nuit je suis Buffy Summers, que Chloé Delaume affronte directement le démon de la folie. Comme Buffy l’affronte dans l’épisode 17 de la saison 6 : « Normal again ». Dans « Normal again », Buffy est attaquée par un démon qui lui injecte un poison hallucinogène. Son hallucination, très paradoxale, est de se mettre à vivre dans un monde sans surnaturel, dans lequel elle est internée dans un hôpital psychiatrique. Dans cette « réalité », elle retrouve sa mère décédée, Joyce, et celle-ci est toujours mariée à son père. Par contre, aucun de ses amis n’existe, et bien sûr aucun démon. A la fin de l’épisode, alors qu’elle retrouve sa réalité d’avant, celle des autres épisodes, avec les amis et les vampires, un dernier plan très ambigu la montre à nouveau dans l’hôpital psychiatrique, dans un état catatonique, un médecin annonçant à ses parents : « On l’a perdue à nouveau. »
L’ambigüité finale de « Normal again » est une sorte de tour de force narratif de la part de Joss Whedon pour qui il était très important de laisser au spectateur le choix de la « réalité » en laquelle croire : Buffy est peut-être une Tueuse de Vampires, peut-être une jeune fille folle vivant dans un monde imaginaire. Ainsi, la série réussit, en un seul plan, à suspendre la totalité de se narration, en suggérant que tout ce qu’a vécu Buffy et tout ce qu’elle y vivra encore, n’est peut-être que le fruit de sa démence.
C’est à partir de cette possibilité que Chloé va créer La nuit je suis Buffy Summers, une œuvre hybridant deux « sous-genres » littéraires : la fan fiction et le « livre dont vous êtes le héros ». C’est en explorant, à la deuxième personne du pluriel, l’univers alternatif de « Normal again », celui dans lequel Buffy Summers est une jeune fille aliénée : « un membre, même pas éminent, du peuple des pyjamas bleus ». Mais l’hôpital du livre est particulier. Dans celui-ci, tous les patients sont des personnages de fiction. Ils viennent de la série d’abord. Reconnaissable par leurs initiales, on y retrouve Giles, Willow, Xander, Anya, Drusilla… Et même Amy : une sorcière transformée en souris pendant trois saisons de la série et qui ne revient dans la sixième que pour en être presque aussitôt chassée, mais qui, dans La nuit je suis Buffy Summers, atteint la dignité de membre du Scooby Gang. Mais Chloé étend sa fiction à d’autres univers. L’infirmière est celle de Vol au-dessus d’un nid de coucou. Un des patients est Leonard Simms, de l’asile de Santa Rosa de Lost (c’est le type qui transmet à Hurley les chiffres 4, 8, 15, 16, 23, 42). On retrouve même la Femme à la Bûche et Laura Palmer, qui ont déjà traversé plusieurs autres livres de Chloé. La nuit je suis Buffy Summers est le livre qui permet de relire tous les livres de Chloé Delaume comme une œuvre unifiée, se situant dans un monde commun cohérent avec une narration souterraine concernant le double magnifié de l’auteur : Clotilde Mélisse, « écrivaine militante, un creuset à fantasmes, un transfert très grossier ».
Clotilde Mélisse est une sorte de super Chloé Delaume. Elle est à Chloé Delaume ce que Chloé Delaume est à son lecteur ! Evoquée dans Certainement pas (« Certains l’appellent Jeanne d’Arc à cause du carré sombre qui lui cercle le visage et parce qu’un jour le Verbe la somma paraît-il de bouter Beigbeder hors de France (…) Clotilde prend la littérature pour une sorte de guerre sainte, ce qui la fait passer pour une sombre tarée. »), elle traverse ses livres pour se retrouver au cœur des deux fictions dialoguées de Au commencement était l’adverbe. Et, plus delaumienne que Delaume, elle y dit : « Quand je travaille sur un homme, je ne peux pas m’empêcher de penser qu’il est intrinsèquement du côté du pouvoir, ou qu’il cherche le pouvoir, que sa langue est celle du pouvoir. » Dans La nuit je suis Buffy Summers, Clotilde est obsédée par l’accession de Stéphane Blandichon à l’Académie : « Pour elle c’est dramatique, c’est l’avènement du vide dans la sphère romanesque. »
Mais le plus extraordinaire exploit de La nuit je suis Buffy Summers est le twist final (attention, à partir de cette partie du texte, je vous spoile le jeu). Celui-ci semble réaliser une promesse restée latente dans toute une partie du corpus delaumien, puisque, dès les premières pages des Moufflettes d’Atropos, le très grand ennemi était identifié, et c’est le ressentiment. « Si nous appelons C la force de compression et E la force classique, l’élasticité est exprimée par la relation C=E ou E/C=1 ; la valeur du rapport est de 15/16 pour le verre, 8/9 pour l’ivoire, 5/9 pour l’acier. Combien pour le ressentiment. Je sais pas c’était pas marqué. »
Evidemment, Nietzsche apparaît. Evidemment. C’est peut-être l’écrivain qui apparaît le plus souvent dans l’œuvre de Chloé Delaume. Dès Les Moufflettes d’Atropos, Nietzsche intervient de plein de façons différentes. Sujet de blagues : les albums de bande dessinée Zarathoustra au pays des Schtroumpfs et Gargamel contre l’Antéchrist ; la phrase : « Donc, les gonzesses, c’est un fait ça n’entend rien à rien et ça confond Hegel avec un communiste, Zarathoustra et Sankookaï. » Auteur des deux citations qui s’extraient du reste du livre pour commenter la situation : « La vérité fait mal parce qu’elle détruit une croyance ; elle ne fait pas mal par elle-même. » Et : « La vengeance – le besoin d’une rétribution n’est pas le sentiment qu’une injustice a été commis, mais l’impression d’avoir été vaincu – et d’avoir à restaurer sa situation à tout prix. » Enfin, Nietzsche apparaît comme personnage, dans les toutes dernières lignes du texte : « Le chauffeur du taxi a de grosses moustaches noires et l’accent germanique. Il m’observe par à-coups dans le rétroviseur. » On le retrouve un peu partout dans les 25 livres qui suivent, jusque dans Mes bien chères sœurs et son premier chapitre, au titre éloquent : Le crépuscule des guignols.
Dans La nuit je suis Buffy Summers, Buffy affront les Néantisateurs : des crétins qui rappellent les « Nihilistes » du Big Lebowski ou les jeunes connards satanisants des beaux quartiers de certains épisodes de Buffy, comme ceux de « Help » (Saison 7 épisode 4). Les Néantisateurs kidnappent Buffy pour l’offrir en sacrifice à Zarathoustra qu’ils comptent faire venir sur Terre à la façon d’un démon. Zarathoustra apparaît bien, mais c’est pour immédiatement les désavouer : « Qu’avez-vous retenu de mes enseignements. Vous n’avez rien compris, c’est toujours la même chose, à chaque génération. » Les Néantisateurs se défendent : « Nous sommes les tout nouveaux Surhommes, au-delà de la morale depuis longtemps enterrée nous trucidons l’éthique de façon magistrale. Nous sommes sans état d’âme, relax, décomplexés. » Zarathoustra est horrifié : « O plaisantins, faiseurs de ritournelles, taisez-vous donc. Ma parole aux âmes droites s’est toujours adressée, aussi rien d’étonnant à ce que vous soyez sourds. » Après avoir fait imploser les crânes des Néantisateurs dans un final très whedonien, Zarathoustra se tourne vers l’héroïne et lui dit : « Femme supérieure, voici ton aube, ton jour se lève : je disparais. »
C’est sublime. C’est dans La nuit je suis Buffy Summers que Chloé tire le meilleur de l’enseignement de Nietzsche, et le rattache avec une juste intuition à Buffy. Mais c’est dans Une femme avec personne dedans, quelques années plus tard, qu’elle tirera le meilleur de l’enseignement de Buffy.
A la fin de Buffy contre les vampires, Buffy découvre dans la sororité sa véritable modalité politique : la fin de l’élection, le partage du pouvoir, une sorte de communisme pop qui n’existe pas encore mais que presque toutes les séries envisagent déjà. A la fin de Une femme avec personne dedans, Chloé abandonne l’autofiction – qu’elle appelle désormais l’autofixion – et la transmet à ses lectrices et lecteurs : « Ecrivez-vous vous-même, quelle vie vous souhaitez-vous. L’autofixion est plus qu’un concept littéraire, ampleur grandeur nature c’est une arme potentielle, je répète, quelle vie vous souhaitez-vous. Ici l’ultime passe-passe, Imaginez-vous tous, vos chemins se déploient s’entrecroisent se chevauchent, prenez jouissez-en tous, je vous lègue la formule, quelle vie en ferez-vous ? »
Ce sera avant de passer vraiment au roman et à la sorcellerie avec Les sorcières de la république, à l’essai et à la sororité avec Mes bien chères sœurs. Sans compter tous les livres qu’on ne connaît pas encore… Précision : j’avais beau lire ses livres depuis le début du troisième millénaire, j’ai relu tout Chloé Delaume avant d’écrire ce texte. Pendant des centaines et des centaines de pages, j’ai l’impression d’avoir voyagé dans une œuvre hors du commun, cohérente, sublime, follement drôle, terriblement triste, excentrique, essentielle, et pourtant…
Et pourtant, devant l’horizon de l’inconnu, des livres comme de la vie à venir, j’ai envie de me mettre à l’arrière-plan de l’image et de parler à son auteur comme Dawn parle à sa grande sœur dans le dernier plan du dernier épisode de la Saison 7.
J’ai envie de m’adresser à l’auteur de La nuit je suis Buffy Summers et de lui demander : « Et maintenant ? Qu’est-ce qu’on va faire maintenant, Chloé ? »