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L'étrange Saint-Valentin de M. Griveaux
Paru en 2020

Contexte de parution : Facebook

Présentation :

Post Facebook du 14 février 2020.


Cité(s) également : plusAnthony Weiner, Benjamin Griveaux, Elyse Steinberg, Huma Abedin, Jimi Hendrix, Josh Kriegman, Led Zeppelin, Prince




De toutes les fêtes détestables de notre calendrier de malheur, la Saint Valentin est sans doute la pire. Elle ne réjouit personne. Les amoureux s’en foutent et les célibataires sont dégoûtés. Heureusement que Griveaux a renoncé à sa candidature à la Mairie de Paris pour égayer un peu la journée. La raison : on a diffusé des images de sa queue qu’il avait envoyées à une correspondante internet en mai 2018. Commentaire d’un de ses proches : « Il reconnaît que ce n’est pas la meilleure initiative qu’il ait eue. » A vrai dire, ses projets pour Paris n’étaient pas tellement meilleurs. Commentaire de son avocat Richard Malka : « On utilise sa vie privée pour déstabiliser un homme et le salir ». Malka réussit à dire deux choses fausses en une seule phrase : non seulement Griveaux n’avait besoin de personne pour se salir, mais en plus, à la vue des clichés de campagne où il sautillait et faisait le clown avec ses têtes de liste, il ne donnait pas une impression de très grande stabilité. Bonne Saint-Valentin, Griveaux ! Pour te consoler, tu vas pouvoir désormais continuer à envoyer des photos de ta queue à tes correspondantes sans faire les gros titres de la presse.

Les Français sont nuls : même ça ils l’ont piqué aux Américains. Avant Griveaux, il y eut Anthony Weiner. Sous le nom de Carlos Danger, le candidat à la Mairie de New York avait été attrapé en train d’envoyer des photos de sa queue à de jeunes fans ou followers à plusieurs reprises, en 2011 (alors qu’il se présentait au Congrès) et en 2013, pendant sa campagne new-yorkaise : à chaque fois on voyait la tristesse sur le visage de sa femme Huma Abedin, et à chaque fois, un peu comme un télé évangéliste pris la main dans le sac, Weiner s’excusait, clamait sa honte et disait qu’il le referait plus… Un film, hilarant tant il est grotesque, en avait été tiré, « Weiner » de Josh Kriegman et Elyse Steinberg (2016), où l’on voyait, exactement comme dans un reality show, le quotidien de Weiner et Abedin pendant les lamentables mésaventures d’Anthony et de sa petite queue. C’était assez hallucinant mais les réalisateurs le filmaient alors 24 heures sur 24 pour faire un film de campagne, et ce film de campagne s’est progressivement transformé en documentaire sur le quotidien lamentable d’un exhibitionniste récidiviste. A la fin, grillé de partout, Weiner affrontait le regard désespéré de sa femme et admettait qu’il avait vraiment merdé cette fois. Le film s’arrêtait là mais pas la vie d’Anthony Weiner, qui se conclura de façon sordide en 2016, juste après la diffusion du documentaire, alors que Huma Abedin préparait la campagne d’Hilary Clinton : sauf que désormais Weiner envoyait ses photos à une fille de 15 ans… Comme disait Marx, l’Histoire recommençait bien deux fois, mais ni comme farce ni comme tragédie, comme un fait divers un peu plus sinistre à chaque fois.

C’est fou le nombre de politiciens, philosophes ou journalistes qui font ça : envoyer des photos de leurs queues à des correspondantes Facebook ou des selfies à poil. Très honnêtement je ne comprends pas. Qu’attendent-ils de cet étrange billet doux ? Que la fille réponde : « Maintenant que je vois comme tu es bien membré, mon gros loup, je te dis oui » ? J’ai connu pas mal de filles qui en recevaient, parfois d’intellectuels célèbres, et qui, évidemment, les montraient aux amis, s’en choquaient, puis s’en gaussaient, et les commentaient. L’impression que ça donnait, c’est que ces intellectuels, ces journalistes et ces politiques faisaient tous ça pour ça. Ils se rêvaient comme des rock stars avec des groupies à leurs pieds. Ils se voulaient Hendrix, Prince ou Led Zeppelin. Sauf que Hendrix, Prince ou les membres de Led Zeppelin, avant d’avoir des groupies folles d’eux et prêtes à tout pour passer une nuit avec eux, avaient tous fait ça pour la musique d’abord et avant tout ! En comparaison, je doute vraiment que ces politiques et ces philosophes exhibitionnistes aient jamais eu une autre ambition que de se taper le plus de filles possibles.

Jadis ça me faisait rire, maintenant ça me fait de la peine. Il faut que l’être humain soit paumé pour jouer à ces jeux de con. Il faut que le sexe soit devenu tellement satellitaire à leur propre vie affective pour que ces hommes ne puissent plus se rêver autrement que comme les producteurs de leur propre film porno. Ces pratiques à la fois sordides et puériles ne sont certainement pas l’aboutissement d’un processus d’émancipation. Elles ne représentent ni un affranchissement de la morale collective ni le résultat d’une libération sexuelle. Non, ce n’est pas ça, la passion sexuelle. Ce n’est pas ça, la folle beauté du désir charnel. Ce n’est pas ça, s’oublier dans le corps de l’autre, chercher la transmutation des peines de la vie dans les couleurs chatoyantes de l’érotisme. Ce n’est pas ça, s’aimer comme des dingues, baiser comme des dieux. Le sexe est une des plus grandes magies de l’existence, mais ce qui est magique en lui, c’est l’apparition d’une attraction réciproque. Et ça n’est même pas si rare ou si difficile : il suffit de vouloir plaire à l’autre, plaire vraiment, comme l’autre vous plaît. Il suffit de faire quelques efforts pour toucher du doigt la Beauté, et ce sont ces efforts qui vous rendront heureux, pas même la gratification érotique qui éventuellement en résultera. Aimer, plutôt que harceler et insister. Krishnamurti le dit magnifiquement : « Vous voulez être aimé parce que vous n’aimez pas ; mais dès que vous aimez vraiment, c’est terminé, vous ne cherchez plus à savoir si l’on vous aime ou non. Sans l’amour, vous n’êtes qu’une chose morte, et une chose morte qui réclame l’amour n’en demeure pas moins une chose morte. Alors que si votre cœur est plein d’amour, vous ne réclamez jamais d’être aimé, vous ne demandez l’aumône à personne. »

Bonne Saint-Valentin ! Plutôt que de passer la journée à vous demander si vous êtes aimés ou non, passez-la à aimer, à lire, à dessiner ou à écouter de la musique, cela soigne de toutes les peines du monde.