Post Facebook du 24 décembre 2019.
On n’en peut plus de Noël. Les enmarcheurs ont eu beau placer leur réforme des retraites juste avant les fêtes pour que les médias pleurnichent sur la nécessité que les gens se retrouvent en famille pour Noël, et donc que la trêve casse la grève, c’est quand même la grève qui gagne. Normal : on n’en peut plus de Noël. Pas de trêve pour une fête dont on considère, à juste titre, qu’elle bénéficie moins aux humains qu’aux fabricants de produits pourris, bidoche ignoble (foie gras, dinde fourrée, poissons morts), chansons mièvres pleines de chœurs d’enfants et de clochettes, gadgets nuls ; trafiquants de cochonneries qui veulent s’enrichir sur le dos des hommes pendant que d’autres hommes dorment dans la rue. Pas de trêve pour une fête dont – on a trop tendance à l’oublier – le rituel principal consiste à raconter une craque à un mioche (le Père Noël existe et c’est lui qui vient te donner des cadeaux) pour, plus tard, lui dire que c’était faux (oups, en fait c’était moi) et lui apprendre ainsi à vivre dans un monde d’extrême déloyauté, où les personnes qu’il aime le plus lui mentiront sciemment pendant des années pour des raisons qui lui seront, pour toujours, incompréhensibles. Il faut imaginer que « croire au Père Noël » est une bonne préparation à un monde où on nous demande de croire à des hommes politiques et aux réformes qu’ils nous présentent comme bénéfiques, mais que nous savons être de gigantesques arnaques réalisées pour le bénéfice d’une poignée de milliardaires. Le Père Noël est le Dieu du capitalisme. On n’en peut plus de cette vieille énormité crevée. Pleurez, pleurez, les enmarcheurs. La fête est finie.
On n’en peut plus des fêtes. Moi, en tous cas, je n’en peux plus. Je ne veux plus faire une seule fête de ma vie. En 44 ans, j’ai l’impression de les avoir déjà toutes vécues, et d’avoir testé toutes les possibilités de celles-ci : tomber malade, m’ennuyer, danser comme un fou, me disputer, me droguer, sortir avec quelqu’un, me morfondre, être joyeux, être bourré, refaire le monde, me faire casser la gueule... Me faire casser la gueule, j’exagère un peu, mais j’étais à deux doigts. C’était dans une fête de fin d’année chez des gens inconnus où je déboulais avec des amis en 2001. Ils ont diffusé « New York New York » de Sinatra et j’ai ironisé avec mon verre de champagne en disant à la cantonade : « Ben Laden président ! » Un russe m’a éjecté de la pièce principale, coincé dans un couloir et commencé à me menacer si je ne faisais pas des excuses… « Petit con, tu crois que c’est drôle pour les Américains ? » Cinq minutes plus tard, on se prenait dans les bras en se disant « Bonne année ! Bonne année ! » Je suis rentré chez moi, perplexe.
Je sentais qu’un nouveau monde commençait et je n’avais pas envie d’y rentrer. 18 ans plus tard, je n’ai pas changé d’avis : je n’ai pas envie d’y rester. Je veux vivre dans le suivant ! Si on n’en peut plus des fêtes, c’est que ce monde dans lequel nous vivons ne doit plus continuer, et la fonction des fêtes, c’est justement de contribuer à la répétition cyclique de celui-ci. Après un an de Gilets Jaunes et un mois de grève, il n’y a aucune raison de jouer encore à Noël, au Nouvel An, aux anniversaires, bref : à la continuation des choses. Tout ça sent la fin. Les enmarcheurs peuvent continuer à crever des yeux et exploser des mains pour se faire craindre : l’ordre passé ne reviendra jamais. La fête est finie. Pleurez, pleurez, les enmarcheurs.
Ce qui serait bien, ce serait de faire la grève des fêtes. Ne plus rien fêter, voire même contribuer à rendre les fêtes impossibles. Décrocher les décorations de Noël dans les rues, exploser les vitrines des grands magasins, effacer les annonces, détruire les guirlandes, faire des autodafés de poupées de Père Noël, ne plus se souhaiter la bonne année (et surtout la santé). Ne plus fêter les anniversaires non plus. C’est notre vie qui doit être une fête. Les fêtes ne sont que des étouffe-vies. Si on cesse de fêter sans cesse des événements, c’est-à-dire de les enterrer vivants, on entrera dans un nouveau monde où la réalité sera plus belle que sa célébration. Un nouveau monde où il n’y aura aucune différence entre vivre et être heureux, entre travailler et faire la fête.
Après la grève des fêtes, on pourra faire la grève du vote. On occupera les bureaux de vote pendant les jours d’élection, on brûlera les programmes des partis, on déchirera les affiches, on s’interdira de prononcer le nom des candidats ou d’écouter leur absurdes discours. Nous ferons tout ce qui est en notre pouvoir pour empêcher de nouvelles élections d’avoir lieu. C’est la vie qui est politique. La politique tient à notre façon d’inventer des manières d’être dans les plus petits détails de nos vies. Les élections ne sont que des fêtes du politique, c’est-à-dire des moments de dépolitisation massive. Si nous ajoutons au boycott de la télévision la grève des fêtes et des élections – c’est-à-dire le refus de se contenter de ce substitut au bonheur que nous ne vivons pas comme de ce simulacre de la puissance que nous n’avons pas – alors nous pourrons commencer à exercer notre puissance et à aimer, c’est-à-dire à vivre. La fête est finie, mais tout commence maintenant.