Texte écrit dans le cadre du dossier de presse du film de Bertrand Mandico Les Garçons Sauvages.
C’est une aventure. C’est une illumination. On trouve dans le cinéma de Bertrand Mandico une luxuriance de plante tropicale, pleine de chatoiements et d’épanouissements, d’ombres et de langueurs, d’affaissements et de paresses érotiques. Il y aussi des galeries de pierres précieuses et de totems vaudous qui semblent taillées à même l’os de notre squelette, dans un décor d’une implacable noirceur et d’une incroyable précision. Et les paroles sont prononcées comme des oracles, entre la blague électrique et la sentence de mort. Jusqu’à présent, Bertrand Mandico avait fait du court-métrage le laboratoire de ses plus grandes expériences : chaque film avait le sublime de la foudre qui annonce l’orage dans le ciel trop serein du cinéma actuel. Maintenant, il pleut des diamants.
Les Garçons
Sauvages pourrait être le roman – entre Jules
Verne et R.L. Stevenson – qu’un enfant solitaire lirait
un jour où il n’a pas école. Mais
déjà l’enfant s’est endormi, et le roman
se met à s’animer, les personnages se mettent à
vivre : il devient un film qui n’arrête pas de
déborder dans les symboles, déconner dans les
archétypes, prendre des tangentes folles. Il y a de la
logique dans cette folie. Tout le long des Garçons
Sauvages, les spectres de Shakespeare, de La Nuit du
Chasseur et de Rimbaud annoncent le programme artistique,
amoureux et politique, des années à venir. Chez
Bertrand Mandico, tout est métamorphose. Ce qu’il nous
montre transmute et nous transforme. Ce qu’il suggère
nous arrache à la morne quotidienneté des jours et
nous projette dans l’état visionnaire
d’où toutes les splendeurs naissent. C’est
pourquoi le film peut être si politique (réinvention
d’un rapport positif à la guerre et à la
flibuste) et si sexuel (émotion absolue à la
découverte de nouveaux rapports, érotisation de
toutes choses) sans jamais pouvoir être rabattu sur une
signification univoque qui en réduise l’intense
poésie. L’émotion artistique est un coup de
foudre. Un film est gagné ou perdu dès les
premières images. Dès ses premières images,
Les Garçons Sauvages sont un chef
d’œuvre : une source de vin, de lait et de miel qui
jaillit d’une terre desséchée.