Post FaceBook du 16 février 2018, publié à
l'occasion du lancement de l'exposition A TRAVERS LE MIROIR SANS LE
VOIR
visible du 22 février jusqu'au 17 mars 2018 à la
Galerie Corinne Bonnet (Paris).
Quand je vais dans une exposition de Captain Cavern, j’ai l’impression de vivre dans un monde parallèle. C’est un monde parallèle où Captain Cavern ne serait pas encore considéré comme un des vingt ou trente plus grands peintres. Pas un des vingt ou trente plus grands peintres de son époque, non : un des vingt ou trente plus grands peintres de l’Histoire de l’Art, tout simplement. Parce qu’il n’y a aucun doute qu’il appartient à cette catégorie. Il y a peu d’œuvres qui nous sautent à la gorge comme la sienne. Et qui nous font réfléchir autant, simplement en la regardant, nos yeux faisant la navette entre toutes les rimes et les répétitions, les échos de couleur et les formes en miroir, notre esprit tourbillonnant dans l’ivresse comme si, par une route de dangers, nous étions menés aux confins du monde et de la Cimmérie. On commence à regarder une toile de Captain Cavern et c’est comme s’il fallait apprendre un nouvel alphabet pour communiquer avec elle. C’est comme si, avec elle, on découvrait un langage secret (avec les yeux, sans les mots, dans le silence) pour accéder à un nouvel état du monde.
La peinture de Captain Cavern nous parle d’un monde à la fois utopique et réel, un monde où la science optique la plus rigoureuse cohabiterait avec l’humour et la fantaisie de l’enfance. Voir une exposition de Captain Cavern, c’est comme traverser le jardin de Martial Canterel dans Locus Solus. C’est comme assister au Gala des Incomparables des Impressions d’Afrique de Raymond Roussel : on est face à un spectacle inédit, aussi imaginatif que mathématiquement réglé. On joue beaucoup mais ce n’est pas un simple jeu. Il fait aussi penser à l’écrivain fantastique utopiste Paul Scheerbart, dont Walter Benjamin disait de son œuvre qu’elle parlait d’une humanité qui se serait mise au diapason de sa technique, quittant l’opinion basse et grossière qu’elle était appelée à exploiter les forces de la nature mais découvrant que la technique, en libérant les hommes, pouvait libérer fraternellement par eux la création entière. C’est une œuvre qui tient à la fois du cubisme et de la Maison Hantée, du Train Fantôme et du futurisme. Captain Cavern a accompli la jonction absolue du populaire et de l’avant-garde. Le regard s’y déploie comme les ailes de l’aigle. Toutes les questions optiques semblent concerner Captain Cavern puisque sa peinture est préoccupée de ce que nous serons amené à vivre. On est face à l’immensité, à la puissance de la couleur absolue, qui dicte elle-même ses nouvelles lois, ses décrets, ses ordonnances, et soumet notre perception à un nouveau régime. Rien que ses palettes sont sublimes. Toutes ses courbes donnent le vertige.
La peinture de Captain Cavern fait peur. Elle fait peur parce qu’elle prend tout. Derrière son humilité apparente, elle est si profonde et si minutieuse qu’elle dévore nos yeux comme une déesse Inca. Elle a l’innocence de l’orage, la candeur de la tempête de sable, la pureté de la lave du volcan en éruption. La peinture de Captain Cavern, c’est un éblouissement et le commencement d’une mission.