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Varenne Ivre
Paru en 2008

Contexte de parution : L’hippopotame de Thèbes

Présentation :

Plaquette publiée par L’Hippopotame de Thèbes en 2008


Cité(s) également : plusAleister Crowley, Clément V, Dominique de Roux, Jacques Clément, Léo Ferré, Marlène Dietrich, Philippe Le Bel, René Guénon




Le 6 novembre 1975, j’ai dit à Thiellement : L’érotisme n’est pas dans les choses, mais entre.

Le suppôt ne comprit pas.

Alors j’ajoutai : Bon dieu, regarde celle-là, et celle-ci encore : leurs jambes se croisent et leurs lèvres se touchent ; leurs épaules sont frétillantes d’électricité. Regarde celle-ci, et celle-là également : leurs cheveux s’attirent à la lisière du visible, et les mouvements de leurs doigts se synchronisent sur un rythme secret. Maintenant, regarde le vide qui les sépare : c’est dans ce vide que ça commence à jouer. Car c’est dans les Terres Objectives, et pas ailleurs, que toutes ces choses doivent avoir lieu.

C’était reparti pour un tour ; quatre femmes tombèrent ; personne ne fut sauvé.

C’est là que j’ai baptisé le projet : Varenne Ivre, un livre de rêves.

 

Le 29 Septembre 1991, il neige et je déplace le suppôt dans la ville très chargée de Clermont-Ferrand. Il rencontre Miss Pam et lui demande des nouvelles de Miss Lucy, sa sœur la plus farfelue. Gracieuse et beige Miss Pam : elle a toujours eu le sourire le plus gentil. Mais elle ne peut pas l’aider.

Puis je le dépose au Lycée en cours de mathématiques. Les lumières s’éteignent ; sauf un spot sur le tableau noir et moi qui danse. Miss Betty, sa sœur la plus lascive, vient l’embrasser et lui caresse le visage. Avant de descendre, il croise Miss Wendy, l’autoritaire, qui lui hurle des paroles inaudibles et un prêtre aux ailes de corbeau qui le dirige vers d’autres bâtiments. Tout est comparable au tour de l’église noire suspendue. Là, il croise Miss Pam à nouveau et lui dit qu’il a perdu la trace de son amie. Elle ne peut pas l’aider. Personne ne peut l’aider.

 

Le 27 Novembre 1991, je redépose le suppôt dans le bâtiment principal du Lycée dont les couloirs sont remplis de douches qui éclaboussent ses sœurs au passage. C’est comme des jeux vidéos les rêves ; d’ailleurs ils insistent sur le même espace, les Terres Objectives, base traditionnelle du monde des formes en suspens. Miss Betty et Miss Lucy y font caca, et leurs excréments sont automatiquement dilués dans les marres tracés sur les passages de classe à classe. Le suppôt doit aller à la bibliothèque se renseigner pour une affiche à réaliser pour l’anniversaire de la fin du monde. Il y a petite table où sont exposées des restes d’étoiles mortes, carbonisées. Il en attrape une pour l’observer de plus près. Miss Pam arrive vers lui, affolée. Elle lui hurle que ces étoiles mortes sont empoisonnées, qu’elles contiennent une substance qui s’infiltre par le sang, et risque d’entraîner une décomposition progressive de tous ses membres. Il faut absolument le blesser. Je le projette alors contre la grande baie vitrée qui sépare la bibliothèque de la cour du Lycée. Plongeant, il la brise et se blesse, il est sauvé. Il se réveille et se relève indemne, purifié. Il sort du Lycée et croise les précédentes victimes de ces étranges étoiles brûlées : il leur manque une main, une jambe, un œil ; tous éclopés, même des animaux. Leur souffrance est insupportable.

 

Le 27 juin 1992, je réveille le suppôt et le confronte à sa pierre de Jaspe brisée. Je lui dis qu’elle se ne recollera qu’à la vue d’un ongle incarné. Son ongle l’est mais il n’arrive pas à le présenter à la pierre. Alors je le redépose au Lycée. Le directeur vient parler à sa classe, car c’est déjà la fin de l’année. Le suppôt intervient mais sa voix sonne bizarre, et les élèves se moquent de lui. À la récréation, Miss Betty vient lui parler pour le défier de trouver quiconque avec qui se lier, hormis elle et ses débordements de sensualité. Il fait celui qui ne comprend pas et regarde ses pieds. Tu es né tué, pauvre cul, lui lance Miss Lucy depuis la fenêtre du bâtiment : va crever dans le calme des fleurs cannibales. Miss Betty s’enfuit en courant.

Ce sont des temps déraisonnables. Des animaux malades traînent leurs couilles dans la crème d’un mille-feuille et le suppôt est supposé calmer ses chevaux par leurs cornes. Mais il chérit la frimousse anglaise de Miss Lucy, ses insultes colorées et son nez épaté.

Le suppôt descend plus bas dans la cour, dans les sous-sols de la cour, et observe des sports de l’antiquité grecque joués par des jeunes marquisiennes de très petite taille. C’est déjà l’heure de dîner. Dans la petite salle du réfectoire, le suppôt est le seul garçon à la table. Auprès de lui, Miss Lucy et Miss Pam rient comme des geishas de cinéma et disent que Miss Betty ne va pas tarder à l’introduire dans son histoire. Le suppôt les quitte et retourne vers sa chambre.

 

Le 25 Janvier 1993, dans un marché rue des Feuillantines, se promènent des chameaux aux couilles pendantes et des poussins géants. Mais tous les corps sont des masses pâteuses dans lesquelles vie et rêve se mélangent à la manière de sauces. Une télévision fait apparaître le visage de François Bayrou.

Il y a des coups de foudre, dit le futur président du Modem. Il y a des coups de foudre : à dix-sept ans, un jour de pluie, à un arrêt de bus, je rencontre un rugbyman. Il a un petit livre à la main, j’en ai un aussi, nous avons fini de lire chacun le nôtre : nous les échangeons. Je lui passe Le Règne de la quantité de René Guénon. Et il est tombé si amoureux de Guénon qu’il a choisi de le suivre dans les chemins de la tradition initiatique, et comme Guénon est allé jusqu’à se faire musulman.

Je montre au suppôt un cube de viande géant dans l’ascenseur, et un serbe qui a une fleur à la place de la main. Il traverse un bar arabe qui s’ouvre sur une multitude de pièces initiatiques, et, dans la dernière, dort un vieillard opiomane qui sourit et dont il a peur

C’est alors qu’un coursier lui apporte une lettre de Miss Pam qui l’invite à dîner chez elle le soir même. Je le dépose en voiture à une rue du même quartier près d’un port où un groupe de japonais largue les amarres. L’adresse est mauvaise. La rue de sa très grande sœur, gracieuse et beige, est à plus d’une heure à pied. Il se met en route mais une petite marquisienne rigolarde le rattrape régulièrement pour le faire ralentir.

 

Le 21 Février 1993 au soir, je ramène le suppôt au Lycée comme veilleur de nuit car des choses étranges s’y passent. Ses sœurs acceptent de le rejoindre dans son exploration. Des gardiens leur tiennent compagnie. Un soir, ces choses deviennent plus violentes : même si elles ne cessent pas d’être abstraites, et ne sont que formes floues nébuleuses et colorées, elles errent comme des ectoplasmes dans le Lycée. Tous prennent la fuite, sauf la courageuse Miss Pam et le suppôt qui dansent ensemble un lent slow pour passer la nuit. Miss Pam est belle, mais sa chemise de nuit est ensanglantée, et, à la place de bras, elle a des sortes d’ailes de poulet sans plumes.

 

Le 27 Décembre 1995, c’est une impression de déjà vu et déjà vécu. Le suppôt rejoint son corps électrique. Il bouscule alors tous les objets qui l’entourent. Les objets, il peut les toucher, les bousculer, les violenter, mais ils ont toujours les visages de ses sœurs qui l’observent et le raillent. Dans un couloir, il croise un vieil homme, la cinquantaine rachitique, accompagné d’un plus jeune. Ce sont des initiés.
Qui êtes vous ? demande le suppôt. Jacques Sacey, répond l’initié.
Origine ? demande le suppôt. Science, répond Jacques Sacey, haute science.
Moi aussi, science, dit le suppôt, mais je suis débutant.
Débutant ? s’étonne Jacques Sacey.
Mais je suis encore jeune, ajoute le suppôt.
Pleins de défiance, les deux initiés s’éloignent pour parler dans la pièce d’un autre appartement. C’est là que le suppôt se met à chialer comme un porc. Alors, je me mets à le cogner, le cogner comme si sa chair était de la matière meuble.
La jeunesse, hein ? La jeunesse ? Pauvre cul !

 

Le 3 octobre 1997, le suppôt voit la Terre depuis la fenêtre, juste après un jardin, une face de la Terre visible dans le ciel de l’aube. Après un dernier coup d’œil, il quitte son hôtel et avance dans une foule jusqu’à un cimetière. Il n’y a pas de croix, juste des petits papiers avec les noms et professions des enterrés. Il entre sous la terre et ne voit plus que des pages blanches défiler avec des idéogrammes chinois. Un livre se referme alors que le suppôt ressort et se ballade avec Miss Pam et Miss Wendy. Il parle de ses textes passés ; il ne se souvient plus du nom de la pêcheuse d’étoiles, si, ça y est, elle s’appelait : Emilie. Miss Wendy dit : c’est normal que tu ne t’en souviennes pas, c’est un nom con. Le suppôt dit qu’au cœur de tout ce qu’il aime, il ne sait pas pourquoi mais il y a une jeune fille sacrifiée, comme une offrande. Le suppôt et ses sœurs passent dans une boutique pour s’acheter des cigarettes. C’est une boutique boisée, à l’ancienne. Le suppôt se sent si bien qu’il se déchausse immédiatement et s’assied sur un fauteuil en cuir dans le coin de la boutique pendant que ses sœurs interrogent le vendeur.

La haine du souverain apparaît au suppôt comme une des rares traditions occidentales susceptibles d’être sauvées. Le suppôt repense à Charles VI enfant. Avant de devenir le psycho killer à la hache le plus comique du monde (le suppôt a toujours aimé les haches), Chalres VI était le quasi-inventeur de cette haine, au moment où il créa l’impôt régulier. Et le suppôt le revoit, avec un plaisir pervers, le 5 août 1392, dans la forêt du Mans. Une lumière violette l’éclaire. Charles VI est affecté d’un trouble bipolaire. Il se retourne sans raison contre sa propre troupe. Il hurle et hache quatre de ses compagnons avant de s’excuser.

À la gauche du suppôt, il y a un magnétophone quatre pistes, et Miss Pam éclate de rire. Ces vieilles choses mécaniques, dit-elle, ces vieilles choses mécaniques, ça m’éclate. Le suppôt remet lentement ses chaussures. En s’éloignant, le suppôt se rend compte que la toute petite boutique est liée par de larges ramifications à un gigantesque palais. Miss Wendy commence à bavarder avec Miss Lucy. Le suppôt et Miss Lucy échangent leurs adresses mails. La sienne, le suppôt arrive à peine à l’écrire sur un morceau d’agenda, celle de Miss Lucy, elle dit qu’il faut la taper sur le clavier avec des lettres d’or.

 

Le 4 juillet 2001 dans le jardin, siègent les Ancêtres. Ce sont de vraies images-spectres qui terrifient les sœurs du suppôt. Muni de ses pouvoirs de super héros d’opérette, le suppôt tente de combattre ces figures mais son vol est bloqué et il tombe. Le suppôt a mal, tendu de partout, et spécifiquement les dents. Il a un sac dans lequel il recueille des choses inutiles : morceaux de fer, pièces étrangères, clous rouillés. Le suppôt sait qu’il rêve ; il laisse le dévoilement avoir lieu, mais il est impossible pour lui d’intégrer tout ce qui se passe. Peu de temps après, il fait un cunnilingus à Miss Lucy, aux longues chaussettes rouges vifs. Elle jouit en récitant un poème de Mallarmé. Miss Lucy porte également une robe de dentelle blanche ; le suppôt la retrouve dans la salle de bain, sa robe blanche un peu mouillé, ses chaussettes rouges tombantes, toujours excitée et excitante. L’air est bizarre et le suppôt se sent flancher, il veut tuer une personnalité publique, comme François Ravaillac ou Christian Didier. Comme Jacques Clément aussi, et même si le suppôt ne peut pas encadrer Sixte V qui édicta les mesures les plus strictes envers les bandits mais pensa faire de ce régicide schizophrène un martyr, il pense rependre à son compte la formule anagrammatique C’est l’Enfer qui m’a Créé. Le suppôt n’a jamais été très solide sur la question du passage à l’acte. Les images-spectres de Pauline Jacques et de François Bayrou lui sont présentées à deux reprises. Fumant un joint de volcan, il voit le visage d’une jeune femme aux cheveux courts dans une salle d’attente.

Vous êtes de l’Internationale Gaulliste ? lui demande-t-il.

Oui, répond-elle.

Sentiment de menace. N’en fait-il pas, lui aussi, également partie ? 

 

Le 11 septembre 2003, il n’y a plus que des voix. Une, surtout, celle de Jacques Sacey qui insiste sur toutes ses qualités. La discussion ressemble à celle d’un forum sauf que les voix sont celles des morts. Le suppôt veut juste apprendre ce qu’il fait là, où il est, qu’est-ce qu’il est supposé faire, car il flotte désormais au-dessus de son lit. Il combat des méduses dans le ciel, puis des poissons. Pas faux, les poissons, mais étranges, mous, latex. Il ne sait pas où il va mais il sent la tension s’accumuler dans son corps comme une pile électrique. Il essaie de sortir de cet état sans en sortir, il tente d’ouvrir un œil, sent son pied se raccrocher à son pied ; la musique est assourdissante, fantastique. Chez un fleuriste un peu destroy à proximité des Terres Objectives, ses sœurs et lui sont témoins d’un braquage qui tourne mal et tout le monde meurt, dont un enfant en bas âge sous leurs yeux. Ils passent plusieurs jours à ressasser ça dans des motels.

Le suppôt va voir Miss Pam. Tout est différent mais elle est là, vieille, des cheveux longs gris, accompagnée d’un jeune hermaphrodite. Elle dit : J’adore tout ce qui est sensuel. Le suppôt perd de l’énergie. Il s’éloigne dans un couloir pour reprendre ses esprits. Tout va beaucoup trop vite. Il entend un rire comme celui de Miss Lucy. Il la retrouve et lui dit : Rappelle-toi bien : je suis en rêve dirigé et nous nous rencontrons. Mais Miss Lucy s’assoit et fait la gueule, au bord des larmes. Le suppôt ne comprend pas, lui demande de s’expliquer mais ses sœurs sont abasourdies par sa naïveté. Miss Wendy lui transperce même trois fois le cœur avec un couteau de plastique blanc. Quelques temps après, dans les couloirs du Lycée, le suppôt voit Miss Betty étendue et comme clouée sur le sol, mais vivante et heureuse, presque fataliste, son corps du côté de la hanche est ouvert et donne sur ses organes et os. Elle n’a jamais été aussi belle et elle le sait.

 

Le 15 juin 2004, le suppôt travaille avec Miss Pam et Miss Betty sur un sujet en vidéo haute définition consacré à la sorcellerie dans les lettres. La grande idée qu’ils ont, c’est d’inclure un entretien avec Aleister Crowley. L’entretien sera piégé, bien sûr. Plein de questions retorses et de sujets biaisés. Crowley est mort, leur disent les spécialistes ; mais ils savent que c’est faux. Après une longue enquête, ils retrouvent sa trace. Crowley vit aux portes de la ville, dans la banlieue de Clichy, près de l’avenue Olof Palme où il a basé les locaux de sa nouvelle société templière. Le suppôt et ses sœurs l’attendent une bonne demi-heure, dans un carré d’immeubles vitrés au centre duquel la société a fait réaliser un agréable petit jardin, grillant cigarette sur cigarette, chantant des morceaux épars d’une vieille chanson.

Mais c’est en vain et Crowley ne vient pas… Dépités, le suppôt et ses sœurs se séparent devant l’arrêt de bus et, plutôt que de profiter de la voiture de Miss Pam, le suppôt préfère rentrer chez lui par ses propres moyens, laissant passer l’amertume de ce rendez-vous manqué. Il s’assoupit dans le bus et rêvasse, ressentant toujours les effets d’une étrange moiteur, qui accentue ton malaise. Quelque chose ne va pas, mais quoi ? À cette époque, le suppôt vit une parenthèse amoureuse avec Miss Wendy. Des images d’immeubles de verres, de serres, et d’architectures mêlant métal et nature se mêlent à leurs flirts poussés et à leurs caresses prolongées. Les étages de l’immeuble où vit Miss Wendy sont traversés par des escaliers en colimaçon et des cordes. Miss Wendy l’attend dans un costume sobre et érotique, un pantalon beige et un haut transparent d’où se détachent les deux fraises écarlates de ses seins.

 

Le 15 juin 2004, quelques heures plus tard, le suppôt arrive en bus en bas de chez lui. C’est rue de Paradis, dans le dixième : un immeuble en bas duquel jouent les deux fils de son gardien ; José et Manuel, respectivement treize et onze ans, en jeans troués et tee-shirts crasseux. À son arrivée, ils s’arrêtent subitement de courir et viennent à sa rencontre. Et le suppôt voit que leurs yeux sont pleins de terreur. Caramba, signor, lui dit alors le plus âgé des deux, un hombre muy misterioso, muy terrifico, en su appartamente.

Le suppôt monte les escaliers jusqu’au quatrième étage en tremblant et Aleister Crowley est là. De dos, une canne à pommeau en main, il regarde par la fenêtre. Il ne ressemble pas tellement à l’image que le suppôt s’est faite de lui. Il ressemble surtout à Roman Castevet, le voisin de Rosemary Woodhouse. Il a ce même mélange de douceur et de volonté, de brutale décision et de suavité.

Dans une pièce adjacente, le suppôt repère un tirage de Varenne Ivre, un livre de rêves. C’est une composition récente où il se paie la tête du sorcier. Effrayé, le suppôt la froisse et la range dans sa poche, mais, retournant vers Crowley, il sent sa main le sortir dans un geste automatique et incontrôlable ; et il la lui tend alors que les feuilles magiquement se défroissent. Honteux de sa faute, le suppôt s’époumone en excuses. Sur le moment, Crowley fait mine de ne pas les comprendre. Et il lui dit, avec un ton presque gentil : Mais il est très beau ce texte, publiez-le quelque part, au contraire, je vous y encourage vivement ; je ne comprends pas vos réserves.

Le suppôt reprend le texte et les vannes à l’endroit de Crowley se sont dissoutes en éloges.

Encore une victoire comme celle-là, pense-t-il, encore une victoire comme celle-là et je suis définitivement perdu.

 

Le 3 avril 2006, le suppôt a des fleurs étranges plein les mains quand il revient dans la fête et Miss Lucy se moque de lui. Au sujet de Miss Wendy, il dit : De telles femmes vivent au sein de leur propre système solaire et c’est là qu’il faut aller les chercher. Miss Lucy et Miss Betty éclatent de rire. Il dit : Même si elle ne veux pas me conduire au-delà d’elle même, j’entends l’y contraindre, par la force du seul amour. Elles l’aspergent de bière en se tirant mutuellement par les collants. Il ferme les yeux et ajoute : Homme, si tu es vide, la bière jaillit sur toi comme la source de l’éternité. La douce Miss Pam le console en le prenant dans ses larges bras. Alors que la fête bat son plein, Miss Lucy et le suppôt font bande et à part. Ils montent sur le toit de l’immeuble et vident leurs dernières bouteilles en chantant des chansons renvoyant à un temps circulaire et sacré. Soudain, le suppôt et Miss Lucy regardent le ciel et voient une forme venir vers eux. La forme émet une espèce de lueur, et, au début, ils n’arrivent pas à distinguer ce qu’elle est. Ils observent en silence. 

La forme vient vers eux très lentement. Miss Lucy et le suppôt voient ce qui ressemble à des ailes gigantesques. On dirait que ses bras n’ont pas d’ossature, qu’ils sont flexibles comme ceux d’une chauve-souris. Quand elle est suffisamment proche, ils peuvent distinguer une sorte de femme ailée, nue et noire. Sa peau est noire, son corps est noir, ses ailes sont noires, mais elle luit. Une pâle lumière émane de son corps comme une sorte de radiation. Elle commence à passer au-dessus de Miss Lucy et du suppôt, statufiés, perdus dans le rêve, et ils n’entendent toujours rien. Puis le suppôt hurle : C’est Miss Wendy !
Stupide, réponds Miss Lucy, Miss Wendy ne peux pas être morte. Ce n’est pas Miss Wendy. Ce n’est pas Miss Wendy, n’est-ce pas ? Ou alors ? Tu crois vraiment que c’est Miss Wendy?

 

Le 6 Juillet 2006, le suppôt apparaît auprès de Miss Betty dans un mélodrame en vidéo, tourné par Miss Pam et son équipe technique. Lors de la dernière prise de la journée, elle et lui prolongent quelques instants le rêve en sortant du champ. Ils continuent d’avancer, regardant le ciel violet et le lac presque rose, ainsi que les lumières en provenance du temple bouddhiste bleu et rose. Ils passent la soirée dans un restaurant dans le quartier des Halles, et Miss Betty s’abandonne à lui corps et âme… Le rire de sa sœur est triste à pleurer, et ses cheveux longs le dépriment plus qu’ils ne l’excitent, lui donnant envie de plonger la tête dans son assiette de porc fumé. Alors que le suppôt commence à lui caresser la joue, elle se cambre, et les lumières du restaurant ne cessent de changer alors qu’il la sent se rapprocher. Miss Betty, les cheveux détachés, pleure. Le suppôt lui lèche longuement ses paupières pleines de larmes sucrées. Une sorte d’épuisement se concentre sur sa nuque ; sa tête menace de tomber ; ils se lèvent et se mettent à danser. Miss Betty demande au suppôt de la retenir alors qu’ils tombent dans une danse trop frénétique.

Miss Betty embrasse le suppôt à pleine bouche et, parallèlement, il sent sa tête tomber dans son assiette de porc fumé. Et elle commence à prendre ta tête entre ses mains et à la tourner, comme pour la dévisser. Le suppôt commence à hurler pour que quelqu’un vienne l’aider à se détacher d’elle qui est en train de lui dévisser le crâne. Mais personne ne vient l’aider, et Miss Betty continue à lui dévisser la tête quand soudain il a l’idée de lui agripper la jambe et de la mordiller. Alors, le suppôt renverse Miss Betty, au milieu du restaurant, et il commence à lui sucer l’anus. Miss Betty est retournée, renversée, le suppôt relève son imperméable gris et sa jupe colorée, et elle commence à haleter. J’espère que la caméra continue à tourner, dit Miss Betty, c’est le plus beau film de ma vie. Les lumières s’éteignent à chaque goutte de rosée et de larme amère que ses mots déversent dans le cœur du suppôt.

 

Le 7 Juillet 2006, à l’aube, lui tenant la main, Miss Betty se confie au suppôt et elle pleure. Sa chevelure brune prend des reflets argentés. Elle pleure si bien, c’est comme de la buée sur son visage lisse, et comme si il elle agitait son corps au ralenti. Aspirée par sa propre surface, son âme se coule aux pores de sa peau, glisse, et s’évapore. De l’intérieur, elle se vide comme si elle basculait de l’autre côté de son corps. Crapuleuse comme un ange, elle est devenue entièrement image. Miss Betty dit au suppôt que chaque année, depuis sa naissance, l’espace interstitiel qui sépare chaque seconde de sa vie va plus vite, et, par extension, chaque minute, chaque heure, chaque jour, chaque mois, chaque année… Elle a très peur de vieillir. Elle sait qu’elle est parfaite, son corps est déjà glorieux, que lui reste-t-il à vivre de mieux ? Ne perdons pas de temps, dit le suppôt, avant de l’embrasser à nouveau. La fin est proche et l’ange a échangé sa flèche pour un couteau japonais. Miss Betty voit que la caméra s’est de nouveau rapprochée, et, après un flash couleur fushia, elle lâche le bras du suppôt avec violence. Des gens meurent tous les jours ici, dit-elle en observant des moines bouddhistes.

Le suppôt se rend compte que Miss Betty et lui sont de nouveau sur les lieux du tournage du mélodrame de Miss Pam. Derrière le chef opérateur, sa sœur lui fait un pouce de félicitation. Mais Miss Betty, pleine de rage, a déjà changé de visage. Des gens meurent ! hurle-t-elle, défigurée par la colère, ils meurent ! Aujourd’hui, aussi ? demande le suppôt. Non, avant ! Ils meurent ! Que veux-tu dire par avant ? demande le suppôt. Je veux dire que tu ne m’aimes pas assez, lui répond Miss Betty. Et moi je t’aime trop. Je veux dire que je t’ai trop aimé. Maintenant, laisse-moi seule avec mes souvenirs ! Que veux-tu dire par avant ? demande le suppôt. Que veux-tu dire par assez ? Que veux-tu dire par trop ? Miss Betty lui bourre le ventre de coups de genoux en sanglotant. Le suppôt s’écroule sur le sol, ses lunettes sont brisées et un peu de sang sort de sa bouche… Miss Betty s’agenouille devant lui et continue de frapper des deux poings sur ses jambes en l’insultant. Miss Pam fait signe au chef opérateur d’arrêter de cadrer.

 

Le 2 mars 2007, en ralliement de l’Internationale Gaulliste, instaurée par feu Dominique de Roux et deux ex-coco girls, le suppôt rejoint l’équipe secrète pour la campagne de François Bayrou, grand guénonien devant l’Éternel, dans leur horrible petit local, plein de petites pièces suspendues par des ficelles incertaines, difficiles d’accès, aux échelles trop petites, et aux bacs à sable entrelardées de courant d’eau sale. Il pense au codex gnostique retrouvé sur le dernier dieu et à la chatte de ses parents, mi-femme mi-dragon, qui ressemble à Marlène Dietrich, et à laquelle il ne faut jamais parler politique, car elle se moque.

Et alors, petit gars, il n’y a quand même pas mort d’homme, lui dit la pénétrante Miss Wendy alors que le suppôt la rejoint, deux jours plus tard, déprimé comme jamais, sous une casquette et sous une pluie terrible. Ils entrent dans une taverne médiévale du douzième arrondissement, prennent deux grandes bouteilles de Trois Monts. Le suppôt se jette sur les pistaches qu’il mange nerveusement, à toute vitesse. Si, répond-t-il, si : Miss Betty et moi, nous avons tué le temps.

 

Le 21 avril 2007, la veille des élections, le suppôt est en banlieue, chez Miss Betty, avec Miss Wendy : ils ne parlent que de Pauline Jacques, et Miss Betty va voter Bayrou, pour les mêmes raisons que le suppôt. Miss Wendy, virile et autoritaire, la chambre un peu. Mais c’est de toutes façons déjà trop tard : ils se sont endormis, et Pauline Jacques est devenue présidente. Le suppôt en a des écailles dans les yeux qui resteront incrustés pendant une bonne dizaine de jours et il peut, sans doute, avoir honte maintenant. Pas la peine de faire les comptes : ils sont tous faux, et les oracles ont menti. Le pire est arrivé et ce n’est paraît-il même pas grave.

Sauf pour Miss Betty qui a essayé de l’assassiner. Le suppôt l’apprend maintenant, alors que ni Miss Wendy ni elle ne sont encore dans l’appartement de sa vieille copine banlieusarde. L’équipe de tournage est déjà là pour le film sur La Femme qui Voulut Tuer Pauline Jacques, avec Jamel Debbouze dans le rôle de Miss Betty. Miss Wendy vient de sortir, lui disent les membres de l’équipe. Elle est rentrée chez elle, elle vous passe le bonjour.

Mais Miss Betty ? demande le suppôt. Ah, par contre, répondent-ils, Miss Betty a disparu depuis longtemps. On ne sait pas ce qu’elle est devenue. À partir du moment où elle a été mise en état d’arrestation, elle s’est dissipée dans l’air subtil. Toutes les polices du monde sont à ses trousses, tous les cavaliers de la Janisselle et de la Jêlle. Elle leur rappelle Teddy Vrignault, le Frère Ennemi disparu le 1er novembre 1984, et dont on n’a jamais retrouvé la trace ni le corps. Son complice, André Gaillard, aura été laissé sur la touche pour le restant de ses jours, à croiser des sosies, et se retourner dans la rue devant des indices épars, des hommes qui – de dos – lui rappelaient Vrignault. Même le fils de Jean-Marc Thibault crut le voir, Teddy Vrignault, en Thaïlande, il y a quelques années de cela.

Où es-tu ? Où es-tu ? murmure le suppôt en errant dans son appartement, alors que l’équipe prépare le décor et Jamel Debbouze enchaîne blague sur blague avec le metteur en scène. Sur un tabouret poussiéreux, le suppôt récupère le stick de noir aux lèvres de Miss Betty, entrouvert et pas encore sec. Un signe, pense-t-il. Où es-tu ? Où es-tu ?

 

Le matin du 22 avril 2007, ce que le suppôt trouve, en ouvrant la porte de l’appartement de Miss Wendy rue Charlot, c’est l’ordinateur de sa sœur encore allumé, et un cigarillo déposé dans son cendrier vert. La fenêtre est ouverte, et le suppôt regarde au dehors ; pas une trace, pas un signe de la plus autoritaire de ses sœurs.

Le suppôt retourne en arrière, court dans les rues en cherchant le bureau de vote. On lui indique l’école qui sert d’annexe à la mairie : dans un lieu près des falaises du neuvième arrondissement, très joli, qui donne sur la mer. Il fait nuit, ils dépouillent déjà, mais, in extremis, on le laisse rentrer. Les secrétaires du lieu le connaissent, il passe pour un vieil enfant gâté excentrique. Le regard que tous portent sur lui est bienveillant. Un type dans la salle lui dit : Tu vas voter qui ? Bayrou, j’imagine.

Oui, répond le suppôt. Et il explique, à ses interlocuteurs éberlués : En 1307, un des principaux auteurs de la déviation caractéristique de l’époque moderne, Philippe Le Bel, de mèche avec Clément V qui déplace la papauté à Avignon, fait emprisonner le grand-maître Jacques de Molay et les 72 principaux dignitaires de l’Ordre. Parmi les pêchés qui reviennent le plus souvent sous la torture, l’Inquisiteur Guillaume de Paris rapporte le reniement de la Sainte-Croix, le reniement du Christ, la sodomie et l’adoration du Baphomet. Et le 18 mars 1314, après un procès long de sept années, les dignitaires sont suppliciés. Ainsi Guénon peut dire, avec une sobriété qui est toute à son honneur, qu’il y a une relation plus étroite qu’il ne peut apparaître entre la destruction de l’Ordre et l’altération des monnaies.

Il faut faire vite. Le suppôt a son bulletin dans son portefeuille, mais il ne le retrouve plus. La malicieuse Miss Lucy, pour le taquiner, s’en est emparé. Le suppôt lui demande de le placer dans l’urne, mais elle déchire le bulletin et se met à pleurer. Le regard des dépouilleurs a changé. Il n’y a plus aucune bienveillance maintenant, et le suppôt sait qu’il doit partir. Miss Lucy se désintègre progressivement et il ne reste que son chouchou au sol, dont le suppôt s’empare en tremblant, et qu’il place auprès du stick de Miss Betty et du cigarillo de Miss Wendy dans sa frêle besace noire.

 

Le 23 avril 2007, d’un coup de talon dans l’air subtil, le suppôt se met à voler d’un vol lourd, pesant, et tourne vers la gauche de la rue de Maubeuge en remontant la rue de Rochechouart. Il atterrit dans une sorte de hangar, mélange de station-service et d’hôpital de nuit, éclairé violemment par des néons, qui contient entre cinquante et soixante migrants, entourés de leurs affaires personnelles. Le suppôt repère dans la foule une fille qu’il a déjà vue. Une petite brune aux cheveux courts, très jolie, menue, en jeans, tee-shirt vert et bottines, une petite fiole de whisky accrochée à la ceinture et une cigarette éteinte à l’oreille gauche.

Kim, demande le suppôt, qu’est-ce qu’on fait ici ? Je ne peux pas te dire, répond Kim, demande à un de nos supérieurs.

Le suppôt remarque vaguement un type, en pull rouge, derrière un ordinateur, qui a l’air un peu plus responsable que les autres. Mais tout tourbillonne autour de lui, il ne peut pas le fixer, le retenir, son visage se dissipe et se transforme à toute vitesse, alors le suppôt abandonne sa perception et tente d’aller jusqu’à l’accueil. La dame de l’accueil, qui ressemble vaguement à Miss Betty, ne répond pas à ses questions. Et le suppôt se tourne vers une bourgeoise en tailleur strict qui rejoint son bureau.

Nous faisons un film, lui dit-elle, plutôt sèche. La Femme qui Voulut Tuer Pauline Jacques, avec Jamel Debbouze, François Cluzet et Marion Cotillard. C’est basé sur une histoire vraie. Vous faites ça depuis longtemps ? demande le suppôt. Non : deux semaines. Et moi ? demande le suppôt. Je suis censé être là ou pas ? Je ne sais pas, répond la bourgeoise.

Le suppôt sort. Dans la rue, il arrête un taxi, mais il est rempli d’horribles personnages maquillés et déguisés en clowns : Vous êtes de l’équipe du film, pense à haute voix le suppôt, horrifié. C’est ça, répond le chef des clowns. Et vous êtes également des assassins, ajoute le suppôt. On ne peux rien te cacher, reprend le chef. Et moi, demande le suppôt, qu’est-ce que je fais ici ? Toi, répond le chef, tu travailles pour nous.

Dans le fond du ciel, résonne une petite chanson ; un air de Léo Ferré je crois.

 

Le 24 avril 2007, le suppôt se trimballe comme une merde jusqu’à la place Saint-Georges. Tous ses membres se scindent, se séparent et s’étendent autour de la statue de Paul Gavarni, poète des chloroses. C’est Miss Pam qui le ramasse comme les morceaux d’un puzzle qu’elle collecte dans un grand panier d’osier. Il fallait que les paupières de Miss Pam le rattrapent pour le rembarquer dans une chambre de repos où elle le veillera durant son voyage électrique dans les Terres Interdites. C’est dans une chambre de bonne qui donne sur les Butes Chaumont. Mais ça n’a plus aucune importance maintenant.

Le suppôt voit les lumières les crues du fleuve les sourires. Ses morceaux se recollent et il entend les voix. La martingale la crécelle les grelots le glockenspiel les visages amis au loin qui le regardent.

Miss Pam lui passe un baume sur le crâne, panse ses migraines, calme ses tremblements et lui propose ensuite de boire, en sa compagnie, une tasse de thé avec quelques biscuits.

 

La tasse entamée, et un biscuit, le suppôt résume quelques uns de ses derniers jours, aboutissant à son corps se détruisant place Saint-Georges, et, stupeur, Miss Pam et lui ne se souviennent plus de Miss Betty ; au point même de se demander si celle-ci a jamais existé. Il leur faut vérifier. Mais les photos manquent. Et tout ce que le suppôt a vécu se trouve soumis à la même éventualité : n’avoir jamais été. Ils passent alors dans la pièce à côté. Miss Pam elle-même, avec le thé, sans compter tous les biscuits qui s’accumulent dans son estomac abîmé, désire alors s’en rassurer. Le suppôt et elle rient à gorge déployée, mais au moment de retourner dans l’autre pièce, il est visité par une tache multicolore qui le paralyse et l’espace d’un instant lui fait prendre conscience qu’il n’existe pas. Il a déjà vu la couleur tacheté en rêve, il y a plusieurs années, et c’était à un fil qu’il y échappait. Maintenant il l’oublie aussi vite qu’il l’a vu et retombe, mais son corps l’a enregistré ; et il se met à trembler. Il voit avec effroi que, malgré lui, il simule tous ses gestes et ne trouve pas de mot pour s’expliquer. Miss Pam tente de le calmer et lui rappelle que tout n’est parti que de la vision de Miss Betty peut-être jamais née mais tout arrive au suppôt avec une terrible évidence et une précision telle qu’il pourrait alors, s’il le voulait, tout faire sauter. L’illusion de prononcer une illusion est une illusion de plus : comment s’en échapper ?

Alors Miss Pam tend au suppôt une moitié d’enveloppe pliée sur laquelle il appose avec moult difficultés : Je ne suis pas moi – Je n’ai jamais vécu ces trente-trois dernières années – Je ne comprends pas la naissance.

 

Je ne sais pas beaucoup de choses…, dit le suppôt. Je suis…
Oui ?… demande Miss Pam.
Je suis désolé, vraiment… Je ne voulais pas…
Tu ne voulais pas ?…
Je ne voulais pas…
Oui…
Ajouter encore du grabuge à…

Miss Pam referme alors ses paupières en lui susurrant : Tu es drôlement fatigué, tu sais… Repose-toi… Repose-toi et tu verras, tout ça n’a pas la moindre importance… Je m’occupe de tout maintenant…

Le suppôt flotte à nouveau et Miss Betty s’approche. Elle revient du néant où il l’avait par erreur, assignée, et appuie son index sur son épiphyse. Elle est suivie de Miss Lucy qui lui sourit et de Miss Wendy qui lui fait un signe de la main.

Dans les rêves, disent-elles à l’unisson, dedans les rêves et à travers…

Au point de traverser les rêves…

Voire à travers les raies de lumière…

 

Assise nue et fatiguée sur le capot d’une voiture, Kim est méchante comme une petite fille rêveuse, et sa peau lactée est pleine de distance. Elle fond comme l’éclair, étoile et sucre. C’est l’instant décisif, l’anneau, celui qui doit revenir. Elle dit : Je suis le glaive. L’éclat de séparation. Elle glisse depuis le capot de la voiture morte. Le suppôt sent contre elle le signe d’une pensée heureuse. Elle commence à danser. Ils ne sont que les bribes éparses de son dernier rêve qu’elle se rejoue comme un film pour le cerveau malade. Elle tire la langue et ses yeux tombent : il faut rendre à l’invisible l’inatteignable en son essence. Elle n’est pas dans les yeux mais dans les paupières. Ce sont les paupières, souveraines, qui imposent l’ange à ses yeux déjà morts.

Tous en chœur maintenant…

Il a dit il a pensé puis il a oublié – roulant la peur mordant sa nuque sur le gazon du parc – criant pleurant et essayant vainement de retenir son cœur quelques instants de plus.

Ca sert à quoi ?

Le suppôt dit : Mais qui es-tu ? Et ce, justement, pour dire que c’est tout. Il s’accroche à son bras mais celui-ci ne le retient pas face aux mouvements du gazon mouvant. Kim fait signe en direction de l’arc-en-ciel. Ses dernières larmes se fondent à la rosée que l’aube a déposé sur la pelouse du parc. Son sourire s’efface avec la promesse de réapparaître. Le cœur du suppôt et le sien s’enfoncent dans le battement rapide des paupières de l’étang.

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Pages 6-7

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