Pour le blog « Ici-Bas / La Guerre Totale », entrée écrite en novembre 2008
Depuis quelques jours, Suzy a un remplaçant : Mickael Vendetta. Qu’est-ce qu’il vend, Mickael Vendetta ? Une nouvelle terminologie de la bêtise, une variante de la « nouvelle philosophie » B.H.Lienne qui sert de sujet bouche-trou aux chroniqueurs fatigués : la bogossitude. C’est-à-dire lui-même. C’est-à-dire ce qui est déjà là depuis trente ans. C’est-à-dire rien.
Incapable de s’exprimer et sûr de lui, ridicule et fier de l’être, uniquement occupé de sa propre publicité, suzyste si fervent qu’il en dégoûte tous les autres (pourtant pas très regardants) et peut-être jusqu’à Suzy lui-même, Mickael Vendetta est la nouvelle star-émissaire des talk shows et des émissions de lynchage télévisuel. Grâce à lui, Cauet ou Morandini se sentent pousser les ailes des anges qu’ils ne seront jamais. Devant son arrogance généreuse, son mauvais goût hypertrophié et sa bêtise tragique, ils se voient soudain extraordinairement intelligents, sensibles, intègres et surtout : justes. Ce serait franchement drôle si ce n’était pas à vomir.
Sur Wikipédia, à la rubrique Controverse, on nous informe de la possibilité suivante : « Mickael Vendetta ne serait qu’un acteur-mannequin financé par la société TrendyProd. Son rôle serait de jouer un personnage narcissique et prétentieux destiné à créer une énorme polémique. Après enquête il s’avère que ces rumeurs sont fausses. »
Mais que ce soit vrai ou faux n’a strictement aucune importance. Mickael Vendetta n’est pas un acteur, ce n’est pas un homme non plus. Mickael Vendetta est une créature, comparable aux enfants que les démons font aux femmes. C’est le fils du Diable, un rejeton de ce Petit Satan qu’est le plateau de télévision. Si, à côté de Suzy, même Steevy pouvait se sentir intelligent, à côté de Mickael Vendetta, Suzy a l’air d’un homme public comme les autres. La seule différence temporaire entre Mickael Vendetta et les autres, c’est de faire aujourd’hui exclusivement ce que les autres font majoritairement : du buzz. Une simple nuance, qui officie comme repoussoir tout aussi temporaire et permet aux autres de se laver – pas pour longtemps – de leurs propres fautes.
À chaque fils du Diable que notre civilisation produit, elle confie la tâche surhumaine de faire regretter ses modèles. Déjà, le rôle de Tapie, c’était de faire regretter les patrons à l’ancienne, accrochés à leurs « valeurs de droite ». Le rôle de Suzy, c’est de faire regretter Chirac, comme celui de Beigbeider est de faire regretter Sollers, et celui de Philippe Val de faire regretter B.H.L.. Le rôle de Mickael Vendetta, c’est de les sauver tous, et il confie déjà à son futur suppôt de le faire regretter à son tour. Quelle tristesse.
Ceux qui l’invitent se moquent de lui parce qu’il ne s’occupe que de buzz. Mais la « nouvelle philosophie », c’est-à-dire la métaphysique implicite de notre régime actuel, n’était déjà que ça : du buzz et rien d’autre. B.H.L. comme Morandini, Glucksmann comme Cauet, Bruckner comme Arthur et Finkielkraut comme Ardisson : du buzz. Et lorsqu’on nous parle de sujets de société, lorsqu’on consacre des émissions entières à des polémiques discriminatives, lorsqu’un torchon infect comme Le Point ou Charlie-Hebdo fait une couverture sur Mahomet, il ne faut entendre que cela : des buzz, c’est-à-dire des acouphènes. À quoi sert le buzz ? À encadrer l’espace public d’un halo séparant ce dont il doit être parlé (et qui est répété en boucle), du reste (que l’on doit taire avec ostentation). C’est pour ça qu’il est inutile de polémiquer publiquement avec des personnalités médiatiques : elles ont toujours un coup d’avance sur nous. Ce coup, c’est l’énoncé du sujet sur lequel il faudra se prononcer. Depuis trente ans, les « nouveaux philosophes » ont imposé, non leurs idées (personne n’est assez con pour y accorder du crédit), mais leurs thèmes. Et le piège, c’est d’avoir à donner son avis dans le cadre de ce thème. Les mots sont faux, les faits sont faux. C’est pour ça que, depuis trente ans, ils ne disparaissent pas, mais pourrissent sur place. La faute en revient à tous ceux qui, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, se sont opposés à eux en exprimant leurs désaccords sur des positions qui n’avaient d’autre objectif que de servir de cadres de référence.
« Est-ce que tu as conscience que les gens t’écoutent juste pour se foutre de ta gueule ? » demande Cauet à Mickael Vendetta. On demandait la même chose à Cindy Sanders, la même chose aux suppôts du Loft. Alors que la vraie question est la suivante : Y a-t-il jamais eu, dans ce monde qu’ils ont inlassablement constitué, une différence d’essence entre le ridicule et le succès ? Cette question, ils ne le se la poseront pas parce qu’ils savent, au fond, qu’ils ne sont si « populaires » que parce qu’ils se méprisent profondément eux-mêmes. De Mickael Vendetta, les starlettes d’hier ne font pas semblant d’en avoir honte, ils font semblant de faire semblant. Car ils ont vraiment hontes, pas de ce qu’il est, mais de ce qu’ils sont et qu’il leur tend comme un miroir. Quand Arthur regarde Vendetta, c’est lui-même qu’il voit. C’est le portrait le plus juste et le plus rigoureux de son moi profond. Quand Cauet lui souhaite de se réveiller de son fantasme, c’est à lui-même qu’il souhaite de toujours continuer à dormir, de continuer à croire qu’il n’est pas Vendetta, de continuer à espérer qu’il est autre chose que cette photocopie qu’on lui présente comme invité et qui le dégoûte parce qu’il lui ressemble trop.
Contrairement à ce que pense Woody Allen dans « Celebrity », la civilisation occidentale n’a pas pris un mauvais tournant en se consacrant à la célébration du succès. Elle a atteint, au contraire, son acmé et sa phase terminale. De la même manière que la crise économique actuelle n’est pas un accident ou une crise de liquidité, mais la conséquence logique de l’idéologie de la croissance, Mickael Vendetta n’est pas une crise de la civilisation occidentale mais son parachèvement. Face à Vendetta, Morandini ou Cauet se comportent comme Fillon ou Lagarde face à la récession. Ils veulent revenir en arrière, mais pas de beaucoup. Ils en appellent à la compétence et la mesure, pas à la richesse réelle. Si Suzy braconne désormais sur les terres de Besancenot, Cauet braconne tout aussi burlesquement sur celles de Warhol. Ils veulent détruire ce monstre qu’est l’hyper-capitalisme ou l’hyper-spectacle mais ils s’imaginent qu’il existe encore une possibilité de distinguer leurs croyances des conséquences malheureuses de celles-ci. Alors que c’est leur croyance qui ne tient plus le coup. Alors que c’est leur monde qui est appelé à disparaître, à court ou moyen terme. Tout ce qu’ils peuvent faire, c’est de ralentir leur chute. Ce que nous devons faire, nous, c’est de l’accélérer.