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Elisons l'Assassin
Paru en 2017

Contexte de parution : Mon Lapin Quotidien (L'Association)

Présentation :

Texte publié dans le numéro 2 de Mon Lapin Quotidien en mai 2017.






Aujourd’hui, on m’a demandé ce que je ferai si j’étais président. Je ne m’étais jamais posé la question, même quand j’étais enfant. Cela semblait relever du cauchemar, de la mauvaise blague, de la malédiction. Alors j’ai réfléchi. Si j’étais président, je me sentirai soudain extrêmement lourd. Le pouvoir est du côté de la pesanteur. Plus on possède du pouvoir sur les autres, plus on perd de la grâce. La grâce tient à la liberté : liberté de soi-même vis-à-vis des autres ; liberté des autres vis-à-vis de soi-même. Elle n’est jamais totale, mais elle est toujours possible. La grâce tient de la fragilité et de l’innocence. Une fois président, elle est totalement impossible.

Donc, si j’étais président, je me détesterai. Mais, en plus, je m’ennuierai. Il me faudrait recourir à des plaisirs plus intenses qu’auparavant pour me convaincre que je suis encore vivant. Alors je commencerai par exécuter tous mes opposants politiques : je les ferai arrêter la nuit de mon élection, et, au petit matin, on trancherait leur tête avec un sabre indien sur la place de l’Hôtel de Ville. Ensuite, on jetterait leurs sales gueules aux fauves du Zoo de Vincennes. Enfin, je m’amuserai.

Cependant, très vite, je m’ennuierai à nouveau. Alors, l’après-midi même, je ferai arrêter tous mes amis politiques : tous ceux à qui j’avais pensé pour constituer mon gouvernement. Cette fois-ci je ne confierai pas la tâche aux gendarmes ou aux militaires ; cette fois-ci, je mettrai moi-même la main à la pâte. J’arracherai le cœur de chacun de mes complices et je le pendrai ensuite encore tout sanguinolent dans les jardins des Tuileries, près de l’entrée, juste derrière la statue du rhinocéros qui se fait dévorer par les tigres. Ca aurait de la gueule. En regardant le visage effaré de la garde nationale, je commencerai à vraiment m’amuser.

Enfin, parce que ça ne suffirait vraiment pas, je me condamnerai moi-même à mort. Je ferai une annonce, sur youtube : mon exécution serait autorisée, elle ne serait passible d’aucune peine. Même que l’heureux tueur en ressortirait décoré de l’Ordre du Mérite. A partir de cet instant, je serai vraiment heureux. Je serai vraiment heureux parce que je serai en sursis. Le sursis pourra durer cinq minutes, ou beaucoup plus longtemps, selon mon habileté à déjouer les tours de mes tueurs potentiels. Je partirai dans les rues, je fuirai le pays, j’irai me cacher dans un autre continent et je serai heureux de laisser mon peuple dans cet état. A partir de cet instant, je serai condamné à mort, donc je serai vraiment vivant. Et puis, plus important : les dieux auront enfin été apaisés.

Parce que les dieux sont en colère, très en colère. Pour les apaiser, il faut du sang. Mais pourquoi faudrait-il nécessairement du sang qui vienne d’en bas ? Pourquoi, lorsqu’un système politique meurt, faudrait-il que ce soit à nouveau les hommes du peuple qui se combattent entre eux ? Le sacrifice de la classe régnante toute entière serait le seul à même de rétablir l’harmonie entre les êtres. Une fois la classe politique intégralement exécutée par un des leurs, il n’y aurait probablement plus besoin de guerre civile ou de révolution pour retrouver l’Age d’Or. Je veux croire qu’un des candidats de cette élection y a pensé. Je veux croire qu’un homme politique prépare déjà notre aube à venir. Elisons l’assassin.