Post Facebook publié le 6 juillet 2017.
Nous pensons les choses à l’envers. Nous croyons que nous possédons des choses quand nous sommes possédés par elles. Nous ne gagnons pas d’argent, nous sommes gagnés par lui. Nous ne prenons jamais le pouvoir, c’est le pouvoir qui nous prend. Quand on regarde un politicien ténébreux archétypal comme Manuel Valls (certes, c’est un exemple grossier), ce qu’on voit, c’est un "homme de pouvoir". Pas dans le sens où il "aurait" du pouvoir (il a toujours l’air incroyablement faible, surtout quand il s’énerve, transpire et rougit) mais dans le sens où il appartient à une entité spirituelle maléfique qui s’appelle "le pouvoir" et dont il n’est jamais que l’esclave ignorant de sa propre nature et la victime principale dont nous devons assumer les conséquences de l’incarcération volontaire. Devant une photo de Richard Nixon à qui deux français lui demandaient ce qu’il voyait quand il le regardait, William Burroughs disait : "Je vois un homme en manque." Les hommes politiques sont des hommes en manque. Les grands industriels et les banquiers sont des hommes en manque. Ils devraient être traités par nous, avec rigueur et sans colère, comme de grands malades à qui il ne faut pas attribuer de volonté propre mais qu’il faut empêcher de nuire parce qu’ils sont possédés par des forces qui les dépassent et dont on doit sempiternellement subir les effets collatéraux de la dépendance mortifère. Le symbole le plus clair de la domination des hommes par des entités spirituelles ténébreuses, la "lettre volée" de la politique mondiale depuis plus d'un siècle, c’est le pétrole. Personne ne "possède" le pétrole, mais toute la population terrestre est, lentement mais sûrement, possédée par "lui". Le pétrole est un symbole : une image vivante de la parole gnostique : "Ce monde est un mangeur de cadavres."
La métaphysique traditionnelle est une métaphysique de la Lumière. Pour Sohrawardi, les créatures sont des émanations de lumières successives, graduées, toutes issues de la Lumière originelle, suprême : Nur al-Anwar, la Lumière des Lumières. Il nous manque une métaphysique de la matière ténébreuse pour comprendre la qualité de dégradation spirituelle atteinte par le présent : il nous manque une "métaphysique de l’obscurité" pour comprendre la "physique du pétrole". Parce que s’il y a bien quelque chose qui s’oppose intégralement à la Lumière, ne naît que de son absence, se fait matière même de l’absence pour proposer ensuite aux hommes des services astringents, faisant d’eux les esclaves d’une volonté indéchiffrable mais dont les conséquences sont toujours la destruction des corps, l’échauffement des esprits et la mort des âmes, c’est bien le pétrole. Le pétrole est notre "promesse de malheur".
Produit de la décomposition de milliards de microscopiques animaux vivants qui n’ont pas été recyclés par la biosphère mais "piégés" dans des formations géologiques et "emprisonnés" au sein de la matière minérale, il semblait hautement improbable d’imaginer le monde se mettre un jour au diapason d’une "digestion de cadavres" à côté de laquelle la merde sent bon et la charogne est rassurante. Et il fallut attendre longtemps pour cela. Il fallut attendre le milieu du XIXe siècle pour que commence son exploitation industrielle et le début du XXe pour qu’il devienne la plus stratégique des matières premières – produisant non seulement l’énergie principale des transports, mais aussi toutes les matières "modernes" : plastique, caoutchouc artificiel, etc. A partir des années 70, l’histoire de l’humanité devient presque intégralement l’histoire des peuples du monde soumis aux décisions arbitraires violentes du "pilier de l’économie industrielle" et les conséquences délétères des négociations entre ses suppôts. Mais il aurait dû nous suffire de renifler l’odeur de cette matière pour comprendre qu’elle était tout sauf un cadeau de la Terre, bien plutôt son "baiser de la mort" : nous vivons plus intensément (plus vite, plus fort) à partir de ses réserves ; nous mourrons lentement mais sûrement des suites de l’extension de son règne – par les pesticides et les engrais azotés mais aussi par toutes les guerres dont il est la source et qui font la presque totalité de la politique mondiale contemporaine. L’émission de dioxyde de carbone est le "signe vivant" du caractère ténébreux initial du pétrole, le fait qu’il résulte d’une alchimie renversée où la matière est transformée en un "or noir" par lequel le monde ne se régénère pas mais atteint inéluctablement la fin de son cycle de manifestation.
Dans un monde où "manichéen" est devenu une expression péjorative désignant le "simplisme" dans la vision politique ou morale, il n’était pas étonnant que la plus profonde des spiritualités résultant d’un esprit réellement prophétique puisse difficilement être entendue. Pourtant celui qui a vu la domination du pétrole sur notre temps et le combat qui en résulterait est bien le prophète du IIIe siècle, Mani, qui décrivait le monde des ténèbres comme une terre ravagée par la pollution : "coupée de gouffres profonds, d’abîmes, de fosses, de fondrières, de digues, de marécages, d’étangs, de sources d’où, de pays en pays et de digue en digue, s’exhale une fumée, d’où, au loin, de pays en pays, s’élèvent du feu et des ténèbres. La fumée qui en sort est le poison de la Mort." "Vaste et profonde est la demeure des Mauvais, dit également un texte mandéen. La terre en est une eau noire, la partie haute une obscurité opaque. De l’eau noire le Prince des Ténèbres fut, de par sa propre nature mauvaise, formé et surgit. Il devint grand, fort et puissant. Il créa et propagea des milliers et des milliers d’espèces à l’infini, des myriades et des myriades d’horribles créatures sans nombre."
Les gnoses et le manichéisme furent des poèmes de l’affranchissement, comme le soufisme et la kabbale, et c’est pourquoi ils surent, par la connaissance des principes qui régissent ce monde, deviner les métamorphoses que prendrait la puissance des ténèbres à travers l’Histoire. De tous temps, ils furent vaincus par les "religions" et leurs applications politiques inversant le sens des intuitions des poètes visionnaires. Mais leur fréquentation a toujours pour conséquence le dévoilement du caractère mystérieux de ce que les formes de l’oppression présentent comme des impondérables économiques et des nécessités pratiques auxquels nul homme ne devrait raisonnablement s’opposer. Et lorsque son essence métaphysique sera dévoilée, le pétrole cessera de nous posséder. Comme dans la chanson des Beatles, rien ne changera notre monde, mais les images de lumière vacillante n’ont jamais cessé de danser devant nous, et l’amour sans limite et éternel brille toujours autour de nous comme un million de soleils, nous appelant encore et encore, à travers l’Univers.