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Mayavada
Paru en 2009

Contexte de parution : ICI-BAS (laguerretotale.blogspot.fr)





All our lives we love illusion,

Neatly caught between confusion

And the need to know we are alive.

The Residents

 

Un gras hindou en turban bleu m’accoste et me demande, avec un sourire moqueur, si je parle anglais. C’est en 1992, sur le pont de Genève, je porte une cravate violette et j’ai 17 ans.

- Yes I do speak english, sir. Why ?

- Lucky boy, you will live old ! 89 years old ! No accident, no heart attack, no tragedies, love and marriage. 

- What do you want ?

- Very hard town ! dit-il en me frappant sur le front : Very hard town in here ! Never a rest !

Puis sa main descend jusqu’à la mienne et dépose deux bijoux noir et bleu :

- It will give you power. Will power. 

- I don’t want power !

- I’m a yogi, dit-il et il sort une photo noir et blanc un peu jaunie où il apparaît en compagnie de six autres indiens en smoking. See : we’re all yogi. You know about yogi ? 

Puis il écrit un mot sur un morceau de papier qu’il froisse et met dans ma main en compagnie des deux bijoux. 

- Tell me your good number et your favorite flower. 

- I don’t know… Seven… The rose… Why ?

Il ouvre ma main et défroisse son morceau de papier sur lequel est inscrit « 7 » et « Rose ». Mon manque d’originalité me perdra.

- I gotta go to Zurich, ajoute-t-il. I need 30 Swiss Francs to buy a ticket. 

- I can’t give you that.

- Yes you can. And it will give you power in return.

- No… No…

- Come on. It’s only 30 francs. You can give that to me.

- No I can’t. I need them for my own ticket. 

Le regard du Yogi change. Il se détend et me dit :

- You WILL give the 30 francs to me later anyway. You’ll see. 

- Well, yogi, that’s good. But let me try a last experiment : What am I thinking right now ?

- That’s too easy, répond-t-il en éclatant de rire. You’re thinking about the girl you’re about to rejoin !

Il me donne trois coups sur l’épaule et repart. J’arrive à la gare de Cornavin et prends un billet pour Lausanne, pour aller dîner avec une femme nommée A***. Le billet coûte 19, 60 FS et je donne à la jeune caissière un billet de cinquante francs suisses. Sans me regarder, celle-ci prend l’argent et, dans un geste automatique, me rends deux pièces de vingt centimes. Inutile de raconter que j’insisterai en vain pour récupérer la somme due, qu’elle refusera absolument de me croire et me soupçonnera de vouloir la voler, qu’un loubard tout en cuir et très efféminé qui suivait la scène se mettra à me défendre face à la jeune caissière butée, que je repartirai du guichet alors que les insultes fuseront entre elle et lui qui menacera d’en venir aux mains pour me défendre, inutile d’ajouter que je tremblerai tout le long du trajet vers Lausanne mais que je ferai pleurer de rire A*** en lui racontant tout l’épisode par le menu, inutile de détailler tout cela vraiment et jusqu’au fait que nous jetterons dans ses WC les deux bijoux noir et bleu dans un geste expiatoire chargé d’électricité épique et burlesque, puisque tout le monde a compris que le Yogi a symboliquement récupéré la somme qu’il estimait que je lui devais aussi facilement que le Royaume de France annexe le duché d’Orléans et que c’est bien là l’alpha et l’oméga d’une telle histoire.