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Chronique de Christmas in the Heart
Paru en 2009

Contexte de parution : Rock&Folk

Sujet principal : menu_mondes.pngBob Dylanmenu_mondes.png
Cité(s) également : plusAlan Jules Weberman, Beach Boys, menu_mondes.pngBeatlesmenu_mondes.png, Carl Gustav Jung, Charles Chaplin, Crass, Ella Fitzgerald, Fiery Furnaces, Jimi Hendrix, menu_mondes.pngLostmenu_mondes.png, Louis-Ferdinand Céline, Matt Stone, menu_mondes.pngResidentsmenu_mondes.png, Salvador Dalí, Serge Gainsbourg, South Park, Tom Waits, Trey Parker, Ween




Bob Dylan est un personnage de fiction. Chez la plupart des artistes, on peut assez aisément séparer ce qui fait partie de l’œuvre (universelle, infinie) de ce qui fait partie de la vie (individuelle, limitée). Quand il s’agit de Dylan, c’est beaucoup plus difficile. On se rappelle le professeur de dylanologie des années soixante-dix, A.J. Weberman, qui faisait ses poubelles et l’enguirlandait pour qu’il s’explique sur son désengagement politique et sa période country. « Mais enfin, tu es Bob Dylan ! » lui disait le dylanologue excédé par tant de volte-faces. À quoi Dylan répondait : « Non. Bob Dylan, c’est toi. » À l’instar de Céline, Chaplin, Dali, Gainsbourg – les grands maîtres de l’entourloupe – il n’y a pas à trier entre œuvres majeures et œuvres mineures, bon et mauvais goût, merveilles immortelles ou tricheries sans nom. Qu’ils soient folk, rock, pop, country, junguiens, chrétiens, infidèles, insincères ou simplement mauvais, les disques de Dylan sont des gestes qui fonctionnent comme des miroirs de la psyché collective. Et les événements bizarres de sa vie font partie du récit que sa discographie compose comme un grand récit allégorique, grotesque et sérieux. Comme l’a très bien démontré le film qu’il a scénarisé dans l’indifférence générale en 2003, « Masked and Anonymous », ce Joker insaisissable, à la fois froid comme une pierre et pleurnichard comme un saule, n’est rien moins que l’incarnation sinistre et drôle de notre destin. Et, au moment où la civilisation dégueulasse dont l’Occident est l’initiatrice touche à sa fin, son personnage, Jack Fate, se met à bifurquer – comme les héros de « LOST » – dans un temps désarticulé : time out of joint. Dans cet épisode, après avoir été arrêté le 23 juillet 2009 à cinq heures de l’après-midi dans le New Jersey par deux agents de police pour vagabondage, notre héros croit être soudain retourné dans les années cinquante et décide de se refaire aux yeux de la Loi en enregistrant un album de Noël, sans machins dérangeants ou trucs pervers. C’est « Christmas In The Heart ». Il doit donc être situé en amont de la timeline officielle de notre Dylanopedia et analysé comme un « prequel » à celle-ci. Plus straightforward que « Christmas In The Heart », tu meurs. Si l’album de Noël est une constante de l’histoire de la musique populaire, il aura toujours été un enjeu de réappropriation du genre par un artiste ou un groupe – de Ella Fitzgerald à Jimi Hendrix, des Beatles à Crass, des Beach Boys aux Residents. Mais moins drôle, équivoque, ambigu, critique ou bizarre que « Christmas In The Heart », on ne trouvera pas. Même Ween n’aurait pas osé un copié-collé plus simplifié des styles qui n’appartiennent plus à notre époque depuis un millénaire. Même Tom Waits ne se serait pas contenté de ces geignardises d’une autre ère, enquillées avec une voix en pièces détachées. Même Trey Parker et Matt Stone, les scénaristes de South Park (qui ont enregistré un génial album de Noël, « Mr. Hanky’s Christmas Songs »), auraient mis quelques gouttes de provocation dans cette eau d’hyperconformisme infernal. Ce n’est même pas un disque anachronique, ou jouant sur des incompossibles stylistiques comme pourraient le faire les Fiery Furnaces. C’est un disque littéral, bon, gentil, sain, qui fait froid dans le dos et laisse augurer du pire. Et le plus drôle, c’est qu’il ressemble à notre époque, incapable de se repérer dans le temps et errant entre les mondes en attendant la dislocation définitive… Joyeux Noël, âmes perdues.