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Vies et livres de l'Hydre
Paru en 2010

Contexte de parution : XX/MMX (L'Association)

Présentation :

Publication à l'occasion du livre évènement XX/MMX pour les 20 ans de l'Association.


Sujet principal : L'Association
Cité(s) également : plusBlutch, Charlie Schlingo, Fanny Dalle-Rive, Henriette Valium, menu_mondes.pngJean-Christophe Menumenu_mondes.png, Jean-Claude Forest, Jim Woodring, Jochen Gerner, Kiki Picasso, Max, Vincent Sardon




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L’Association est un mythe. Il nous parle d’une époque où le soleil vient à peine de naître, et où les dinosaures vivent une permanente apocalypse. C’est une période de grand désert : les guerres font rage entre les différentes espèces préhistoriques ; et les hommes ont disparu. Cette période est également évoquée dans nos annales sous le nom d’années quatre-vingt.

C’est alors qu’apparaît le dieu X. Le dieu X a un ventre spiralé de pataphysicien et un visage avec un œil unique, central, qui symbolise la vision par l’épiphyse. Le dieu X est mécontent du ratage apparent de sa création. Il insuffle à son chétif suppôt l’anamnèse de sa véritable nature. « On peut tout faire dans ces contrées-ci » lui rappelle-t-il. Et il évoque un chat amoureux et une souris agressive, un concombre masqué et une bête hurlante. Autant de personnages qui apparaissent au suppôt par visions théophaniques et illuminations successives. Enfin, le dieu X évoque à son suppôt les paroles sacrées, jadis gravées dans la caverne des Grands Anciens : « Il n’y a aucune raison pour qu’une histoire soit comme une maison avec une porte pour entrer, des fenêtres pour regarder les arbres et une cheminée pour la fumée… On peut très bien imaginer une histoire en forme d’éléphant, de champ de blé ou de flamme d’allumette soufrée. »

Le dieu X ouvre une nouvelle ère ; et il disparaît. Les dieux disparaissent souvent…

 

Quand ils disparaissent, les dieux laissent un legs. Le legs du dieu X se présente sous la forme d’une hydre à sept têtes. Auprès de l’hydre se tisse une tapisserie cosmogonique, et une pyramhydre apparaît. Cette dernière, centre initiatique et tombeau, ne se contente pas de résister à la mort. Elle devient la navette d’un voyage dans l’au-delà. Et l’hydre est le vecteur des nouvelles tables de la liberté et de la loi.

La nouvelle liberté provient de l’injonction du dieu X, qui insiste pour que toutes les terres encore sauvages soient explorées : le rêve, l’autobiographie, le cadavre exquis, le poème, l’association d’idées, l’abstraction, le reportage, l’essai.
Les lois nouvelles découlent des règles de l’ouvroir qui permet au suppôt de quitter ses déterminations préconscientes et de laisser respirer de nouvelles alliances contre-nature : itération, recouvrement, hybridation, expansion, pliage, strips croisées, palindrome, upside-down, morlaque...

C’est alors que les hommes naissent et disent : L’Association est une réalité.

La tapisserie cosmogonique qui accompagne tant l’hydre que la pyramhydre se présente comme un arbre qui est également un lapin à multiples cornes. Alors que L’Association devient réalité, son mythe devient histoire : Il y aura un lynx, il y aura des nerfs et il y aura l’unicité de l’Unique. Il y aura un labo et, faute d’apocalypse, il y aura la pulpe et il y aura un lapin. Le lapin sera lui-même multiple : il y aura Lapot et il y aura Lapinot ; il y aura le lapin ricanant et il y aura Nanabozo.

Il y aura quatre générations de lapins. Et il y aura même un lapin blanc qui – figuration légendaire du Temps, habituel interlocuteur des petites filles – plongera dans le souterrain de l’underground pour déboucher dans un monde-miroir dit aussi : monde munaire. C’est le monde de la Mune et du Mont-Vérité.

 

Dans le monde munaire, on retrouve, en énigme, les relations entretenues dans notre monde, mais elles apparaissent sous des coordonnées renversées. Alors que le jour se lève sur les événements vécus par l’hydre, il fait toujours nuit dans le monde munaire. Quant la pyramhydre trône au centre de la Terre, trois pyramides volent à travers la nuit éternelle. Face à l’hydre à sept têtes, et bientôt six, qui représente la volonté du dieu X dans notre monde, on découvre, dans le monde munaire, un Mont-Vérité où habitent sept moines. Alors que les six têtes restantes de l’hydre sont extrêmement différenciées, le monde des sept moines du Mont-Vérité est synthétique et unifié. Slomaque, Oustakhoze, Rushzbek, Techtchnak, Bozbollah : les sept moines du Mont-Vérité ne sont pas tous nommés ; mais les six têtes restantes de l’Hydre portent un titre : Mappemonde, Professeur, Bletzuklo, Commandant, Monsieur, Sa Sainteté Sri Pada Vendanta. Alors que l’hydre travaille sans cesse, publie des livres, initie des combats, remet tout en cause par d’incessantes guérillas, le Mont-Vérité n’a l’air de se consacrer qu’aux craques prophétiques, à l’alcool et à l’amitié.

Par ce monde-miroir, on comprend que L’Association n’est pas seulement un mythe et une réalité ; mais également un récit. Ce récit nous parle des relations entre l’art, la politique et l’amitié. Construisant son histoire comme celle où ces champs de l’existence ne sont pas séparés, ce récit nous parle d’un monde où des hommes ont décidé, contre toute attente, de vivre poétiquement sur la Terre. C’est-à-dire de choisir leurs conditions d’existence, de combattre leurs déterminations, d’incarner la suprême liberté.

Le geste de L’Association, qui est celui de ne pas séparer la création de ses conditions d’existence, fait de l’édition un acte pleinement artistique. Et les combats ne cessent d’y être menés, tant à l’extérieur, contre le monde sclérosé de la bande dessinée classique, qu’à l’intérieur, face à tout ce qui peut apparaître comme des complaisances avec l’ordre inversé du monde.

À la réinvention des formes de la bande dessinée répond une nouvelle intelligence des formes des l’édition, une réinvention de la forme du livre injectée à la bande dessinée, et dont découle une onomastique mystérieuse et précise : éperluette, ciboulette, mimolette, côtelette, éprouvette, espôlette. C’est un récit qui comprend des événements (Comix 2000, Toy Comix, Bitterkomix), des réinvestissements (Mystérieuse matin midi et soir, Sergent Laterreur, Josette de Rechange), de vastes et passionnantes épopées (Sunnymoon, Sombres ténèbres, Une demi-douzaine d’elles), d’éblouissants mystères (Klas Katt, Frank, Mormol) et des renversements de perspective (Contre la bande dessinée, Ab Bédex Compilato, Engin Explosif Improvisé)...

L’Association est un geste qui se compose d’une bonne centaine de gestes, une vision qui se réfracte en une millier de visions. Ce sont des météorites qui, observées à bonne distance, sont autant de cailloux déposés dans le sentier des jardins du vingt-et-unième siècle. Et ces cailloux forment désormais un dessin qu’il nous appartient de découvrir.

 

L’Association est une promesse.