Atlantico : Existe-t-il, selon vous, de vraies « stars » sur Internet ?
Pacôme Thiellement : Internet, c’est l’univers de la reprise anarchique totale. Il existe beaucoup de chanteurs YouTube, d’acteurs YouTube, de vidéos YouTube. Certes, certains deviennent connus grâce à Internet, mais c’est un phénomène qui relève tellement du « peuple », « par le peuple et pour le peuple » que tout est un peu trop ancré dans la terre ferme du réel pour parler d’étoiles ou de soleils.
Donc, vous considérez qu’aucune star n’est née sur la toile ?
Non, ce ne sont pas des stars.
Je ne sais pas quel nom on pourrait leur donner, pour les opposer aux étoiles : des fleurs peut-être ?… Le rapport à la notoriété est beaucoup trop pur et immanent pour pouvoir parler de « star-system ». Internet est un « flower-system ». Il y a quelque chose de profondément innocent dans ces apparitions, même quand elles débordent de vulgarité. On sent que ce sont des gens qui n’ont pas encore triché.
Ca changera peut-être. Mais sur YouTube s’il y a beaucoup de contenus médiocres, quelques-uns sont magnifiques qui ne répondent plus pour autant au schème admiration/amour/identification/jalousie. Par exemple, il y a une chanteuse qui s'appelle Erin Merle, belle comme une gitane, avec un regard hanté de poétesse maudite, et elle enregistre ses chansons dans son cagibi, une reprise de « I married myself » des Sparks par exemple ; on peut même voir ses vêtements sales ou sa machine à laver au fond du plan. C’est merveilleux.
Je pense aussi à deux petites filles noires américaines, Van and Jess, qui reprennent tous les tubes R n’ B du moment. Elles mettent leur plus jolie robe, leurs boucles d’oreille, et elles chantent toutes les deux avec leur petit synthé, alternant les parties mélodiques et se rythmant elle-même en faisant du beatboxing… Elles sont mille fois meilleures que leurs modèles.
Je ne parle pas des fictions, comme le nombre incroyable de reconstitutions du 11 Septembre par des gosses américains pires que des héros de South Park, dont un petit gros de onze ans, Nick Paulin, qui mange ses fausses tours, en s’excusant pour les victimes après les avoir fracassé avec un canard géant ! Eric Cartman est formidable, mais Nick Paulin est tellement mieux.
Ceci dit, ça ne forme pas un monde commun sur lequel je vais pouvoir discuter avec les gens au bistrot. Il ne s’agit donc pas de « stars » à proprement parler : la star, tout le monde a plus ou moins une opinion sur elle parce que ce sont des personnes que tu vois sans l'avoir demandé. La star c'est quelqu'un que tu subis, qui plane au-dessus de toi comme les étoiles. Avec Internet, c’est différent : le public choisit ce qu’il veut voir. Il laisse pousser. Je n'ai pas le choix de connaître ou pas PPDA ou Britney Spears, mais j'ai le choix d’arroser, un peu plus chaque jour ou chaque semaine, les fleurs de Erin Merle ou le canard géant de Nick Paulin.
Est-ce que les réseaux-sociaux changent la donne ? On peut désormais communiquer directement avec les stars…
Les réseaux sociaux posent un égalitarisme radical au départ. Mais même s'il y a plus de gens qui vont « liker » les statuts d'Ashton Kutcher sur Facebook, s'ils sont inintéressants, ils seront moins « likés » que l’anonyme qui va sortir la phrase qui tue dans les commentaires de son status. Avec les réseaux sociaux, on ne peut plus tricher. C’est d’ailleurs pour cela qu’ils sont attaqués : les réseaux sociaux sont dénigrés par ces « intellectuels » (dont tous les guillemets du monde ne suffiraient pas à signifier à quel point leur titre est usurpé) qui ont une trouille monstre de la chute de leurs privilèges.
Ces pauvres types se plaignent d'Internet, parce qu’ils s’aperçoivent que le web permet de les remettre en cause très vite : tout ce qui était possible avec la télévision, sur Internet, ça ne passe pas. Sans Internet, tous les mensonges de Bernard Henri-Lévy ou les conneries de Yann Moix n’étaient pas relevées aussi vite, et de façon aussi fracassante. Avec Internet, une star ne peut pas se permettre de mentir autant. Elle est obligée à une certaine honnêteté, ne serait-ce que vis-à-vis d’elle-même, et elle s'en tire en général très mal parce que ça n’a jamais été sa manière de vivre jusqu’à aujourd’hui.
Internet a-t-il tué le star-system ?
Pas encore, mais ça viendra. Avec Internet, YouTube, Myspace ou les réseaux sociaux, tout est chaotique, mais il existe une certitude : les mecs qui sont à ce moment-là aimés, le sont vraiment, il suffit de regarder leur nombre de vidéos vues pour vérifier. C’est beaucoup plus fiable que Médiamétrie et son panel soi-disant « représentatif » de quelques milliers de bonshommes !
Et puis, quelqu’un comme Rémi Gaillard, ou, pour citer mon préféré, Chris Dotson – qui ne fait que des sketchs extraordinaires où il joue David Lynch essayant de réaliser un nouveau film avec Crispin Glover… Ces gens n’ont pas de communicants derrière lui qui les chapeautent et leur disent « continue mon p’tit gars ». Du coup, l’internaute qui les regarde sur son écran sait qu’il est comme eux, qu'il pourrait leur parler. C’est un statut très différent de celui des anciennes stars.
Bien sûr, certaines célébrités essayent de monter dans le wagon du web. Elles ne veulent pas disparaître. Elles se rendent compte que le beau bateau « star-system » est en train de butter contre le gros iceberg Internet. Alors, elles regardent s’il y des bouées de secours, et elles ont raison. Autant qu'elles partent maintenant, parce que le processus enclenché par le net est inéluctable. Et les risibles tentatives de nos politiques pour « réguler » tout ça dans le sens de leurs intérêts privés, toutes leurs « Hadopitreries », sont vouées à échouer de toutes façons. C’est écrit dans leur regard de bêtes traquées.