Pacome Thiellement.com

Des vampires
Paru en 2011

Contexte de parution : atlantico (atlantico.fr)

Atlantico : Twilight 4 sort ce mercredi. Les trois premiers épisodes ont été des succès, notamment auprès des jeunes. Les adolescents n’en auront-ils jamais marre des vampires ?

Pacôme Thiellement : Les adolescents en auront marre des histoires de vampires quand les vieux en auront marre de bander pour eux et de leur faire savoir. Un récit dure le temps de sa fonction sociale.

Les premières histoires de vampires, comme « The Vampyre » de John Polidori, le toubib de Lord Byron, sont apparues au début du XIXe siècle, c’est-à-dire une époque marquée par :

  • La fin de l’efficace chrétien en Occident comme de la croyance en l’au-delà (ce que, en folklore nietzschéen, on appelle la mort de Dieu) ;
  • Le désir pour l’homme de vivre et de jouir le plus longtemps possible sur la Terre ;
  • La fin de la transmission entre générations. Les vieux ne transmettent plus rien aux jeunes. Comme les « soixante-huitards » d’aujourd’hui – mais, au fond, depuis le dix-neuvième siècle, tous les hommes sont des soixante-huitards – ils veulent rester là où ils sont et, à part pour le sexe, les jeunes ne les intéressent pas.

Vous pouvez observer ça dans à peu près tous les domaines de la société. Vous pouvez observer ça dans la manière dont les parents se comportent avec leurs enfants, les vieux avec les jeunes, les patrons avec leurs employés, les « forts » avec les « faibles », bref : toutes ces hiérarchies qui ne sont que des abus de pouvoir et des viols légaux, qui vont de ces professeurs qui signent de leur nom les travaux de leurs étudiants aux instrumentalisations de la chair fraîche des jeunes par les vieux, de la publicité à la prostitution, en passant par les films de Gus van Sant, les photos fashion-trashouille de Terry Richardson et les soirées « bunga bunga » de Silvio Berlusconi.

Les récits de vampire vont osciller principalement entre deux tendances. D’un côté, une tendance qui tend à décrire la réalité de notre monde comme un monde où la transmission s’est retournée en vampirisme. Et de l’autre, une tentative d’acclimatation à cette situation, où la fiction invente un caractère illusoirement séduisant, artificiellement profond, aux vampires. On les drape d’un érotisme et d’une jeunesse apparente dont leurs modèles, dans la vie réelle, sont singulièrement dépourvus.

Twilight et son acteur vedette Robert Pattinson s’inscrivent donc dans cette veine du vampire sexy ?

Le vampire est sexy car le rôle de sa fiction est de créer une compensation affective. Face au traumatisme que représente le viol à répétition du jeune par le vieux, le jeune réclame une fiction-écran qui lui permette de supporter ce viol, exactement comme le masochiste transforme – par l’écriture d’une fiction érotique – sa souffrance en plaisir : Bobby Flanagan, par exemple, atteint de la mucoviscidose, réussit à survivre à sa souffrance en devenant « Super Masochiste ». Nous sommes tous des « Super Masochiste ». Nous avons tous été instrumentalisés par ceux que nous aimons et nous supportons cette situation en nous créant l’image de vampires charmants, magnifiques, classieux, archi-sexys et archi-intelligents, alors que, dans la réalité, ce sont de vieux salauds, cons et moches, et qui bandent comme des ânes pour notre ravissante peau de bébé !

Si les vampires de Twilight étaient vraiment moches cela ne fonctionnerait donc pas ?

Si la souffrance était montrée dans sa réalité, elle serait totalement intolérable. Il y a quelques jours, on révélait le contenu des SMS de celui qui était supposé devenir notre nouveau président. Le grand homme ne s’enquerrait que des boites à partouze dans les villes d’Europe où il passait et indiquait la présence de quelques jeunes femmes à ses côtés par une expression totalement irrésistible : « moi (et du matériel) ». Nous sommes tous du « matériel » pour la classe dominante, comme les jeunes sont du « matériel » pour les vieux, comme les animaux sont du « matériel » pour les humains qui les mangent. Pourquoi se gêner, puisque tous les « matériaux » cherchent à humaniser leurs bourreaux en retour ? C’est la mécanique stockholmoise parfaite de cette création ratée, le manège cosmique du mauvais démiurge. Ce monde marche très bien puisque nous finissons toujours par justifier, par des raisonnements dignes des plus grands casuistes, les souffrances que nous subissons.

La situation que vous décrivez – des vieux qui sucent le sang des plus jeunes – s’inscrit-elle dans notre époque d’aujourd’hui, où les jeunes peuvent se sentir moins privilégiés que leurs aînés qui n’ont connu ni le chômage, ni le sida, ni la difficulté à pouvoir acheter un logement ?

Le film de vampire est le genre le plus traité au cinéma. On pourrait croire que c’est le film policier ou la comédie romantique, mais non, c’est le film de vampire. Pourquoi ce thème-là n’a-t-il pas disparu avec les années ? Parce que la situation qu’il décrit n’a fait que s’amplifier. Et nous n’avons pas encore réagi. Nous sommes encore trop gentils. Nous sommes encore trop patients ou trop faibles.

Nous sommes trop mous. Regardez les acteurs d’aujourd’hui et leur charisme de pizza froide. Louis Garrel, au mieux, c’est un giton ; au pire, un morceau de viande mal découpée. On pourrait se désoler de cette situation, mais il faut s’en réjouir. Il faut se réjouir que la jeunesse occidentale crève dans sa mollesse ; ça servira au renouvellement de l’espèce et au repos de la planète. Après le mal que nous avons fait au reste du monde, c’est plutôt fair-play de la part des occidentaux que de se mettre à ressembler à Louis Garrel ou à Mélanie Laurent ! C’est une sorte de parade diplomatique : « Certes, on a détruit vos continents et volé toutes vos richesses, mais aujourd’hui nos enfants ressemblent à Louis Garrel : n’est-ce pas assez cher payé pour le mal que nous vous avons fait ? »