Il y a des choses qu’on comprend et des choses qu’on comprend moins. Le non-succès de John From Cincinatti fait partie des secondes. Comment est-on passé à côté d’un tel chef d’œuvre ? Scénarisée par David Milch (auteur de la grande Deadwood) et Kern Nunn (écrivain de surf noir) et diffusée entre juin et août 2007 sur HBO, John From Cincinatti est la série la plus drôle réalisée avec l’autorité et la dignité d’une série non-drôle. John From Cincinatti n’est pas un sit-com. Ce n’est pas un truc cynique ou bêtement grinçant, comme Sex and the City, Californication ou Desperate Housewives. Rien à voir non plus avec les trucs de Apatow, les tartes à la crème de Tarantino ou les saloperies du Frat Pack. John From Cincinatti est une grande saga épique, avec un lyrisme apocalyptique et une dimension messianique, de longs monologues théâtraux aussi pathologiques que profonds, une suspension du temps et des ralentissements de l’action qui nous reviennent du Hal Hartley de Simple Men et surtout un « héros » central, extraordinaire, un point d’interrogation fait homme, quelque part entre Road Runner, Elvis Presley et Jeffrey Lebowski : John Monad, interprété par Austin Nichols, génial.
John Monad sort de nulle part et déboule comme si de rien n’était à Imperial Beach dans une famille de stars du surf californiens, les Yost. Croisant des personnages plus grandioses et destroy les uns que les autres, aussi drôles dans leurs gestes que dans leurs propos (Butchie, ex-surfer junkie ; Dr. Smith, médecin converti au surnaturel ; Barry, propriétaire efféminé et épileptique ; ou encore Cissy, la mère névrotique, sexy et destructrice, de Butchie, jouée par une Rebecca De Mornay démentielle), John Monad porte un message prophétique universel, mais équivoque et compliqué comme un oracle de Nostradamus, et ne parle ou n’agit qu’en imitation des autres personnages. Il répète leurs paroles, reproduit leurs gestes, les conduit à réaliser des miracles (le père lévite, le petit-fils fait ressusciter un oiseau), peut se projeter dans l’espace et anticiper les événements qu’ils vont traverser. Il les accompagne, parce qu’ils sont porteurs de quelque chose de capital, vis-à-vis de quoi toutes leurs névroses individuelles doivent être mises entre parenthèses. Quoi ? On ne saura pas. La série sera arrêtée avant. Mais on aura drôlement phosphoré le long des dix épisodes réalisés.
C’est la honte ! C’est la grosse honte pour HBO, cette chaîne supposément plus « authentique » et « exigeante » que les autres, de n’avoir pas remis le couvert après la première saison ! Décidément, toutes les grandes séries prophétiques de HBO auront été tuées dans l’œuf : Carnivale, Deadwood, John From Cincinatti… Les temps sont proches, pourtant. Et, à quoi ça sert, d’écrire encore des fictions, si elles ne parlent pas de la fin de ce monde ?