Les réseaux sociaux et le microblogging n'engendrent que la paresse, la pédo-pornographie, le trouble de déficit de l'attention ou l’ivrognerie publique ? Erreur. Tous les deux mois, Pacôme Thiellement ira aux events ou commentera les séquences YouTube qui apparaîtront au grès de ses pages Facebook, Google + ou Twitter pour évoquer les plus enchanteurs d’entre eux. Notre monde est la création d’un démiurge fou, bête et aveugle, situé 4928 octaves au-dessous de la Grande Note ; parfois, cela dit, l’écho de la mélodie initiale qui jadis donna naissance à l’Univers se fait encore entendre...
Publication dans le numéro 73 de Chronic'Art.
Chiens de
Navarre
Votre serviteur est allé voir les Chiens de Navarre sur un
coup de tête, yo’. C’était Une
raclette, à Vanves. Nous qui d’ordinaire
détestons le théâtre, nous sommes venus, nous
n’en sommes pas revenus (amour !). Une
raclette, ça commence hors pièce, avec les
acteurs qui discutent, et il y en a un, muet, qui commence à
s’exciter : il raconte son histoire, en murmures et en
langage des signes, sentimental, un peu geignard…
Progressivement, on comprend qu’il a tué un de ses
camarades d’école, découpé en rondelles,
fichu dans un sac, jeté dans la forêt, fait de la
prison, et maintenant il est sorti, il est acteur, il est content.
Puis la pièce commence, un dîner entre six personnes.
Il y a un type qui fait partie d’une organisation
humanitaire, Clowns Sans Frontières (slogan : « un
sourire vaut un bol de riz ») ; un homme qui détaille
ses randonnées avec son pote, chiant comme la pluie,
jusqu’au moment où le spectateur n’écoute
plus trop et que son récit bascule et, avec toujours le
même ton débilitant, il raconte comment il a
tué un petit mexicain, l’a mangé et a
gardé le crâne pour rigoler ; il y a des projecteurs
qui s’écrasent brutalement sur la scène ; une
carotte géante qui viole un des personnages et même
une partouze avec les acteurs soudains vieillis, salis,
pétés, errant dans le public comme des
tchândâla… Avec un synopsis
archi-réglé, un timing parfait, un texte se modifiant
de jour en jour, et des impromptus incroyables, les Chiens de
Navarre sont une sorte de jazz. Ils ont rejoué Une
raclette aux Bouffes du Nord en mars et nous y sommes
retournés ; les textes avaient changé ; on ne riait
pas aux mêmes choses ; mais ils nous fichaient les nerfs en
pelote électrique avec autant d’aisance à
chaque tour de vis de leur soirée. La première de
leur prochaine pièce, Nous avons les machines, est
prévue pour le 6 avril 2012 au Théâtre de
Gennevilliers. Evidemment qu’il faut y aller !
Orsten Groom
N’écoutant que l’Ange de la Face, et parfois les
résidus de l’esprit bicaméral errant dans notre
cerveau droit, nous sommes également allé voir
Bismarck, l’installation de Simon
Leibovitz-Grzeszczak, a.k.a. Orsten Groom, dans le cadre de
l’exposition de fin d’année du Fresnoy.
Obsédé par les red herrings (les fausses
pistes du récit), prince des cauchemars drôles, Orsten
Groom raconte avec des choses l’histoire de Lord Marrowski,
qui, pour repérer les sous-marins allemands pendant WW1, a
l’idée de remplir un faux sous-marins de harengs,
déclenchant chez les mouettes une identification permettant
de les utiliser ensuite comme vigiles. Dans son installation, comme
un petit musée historique de village, il y a la
reconstitution de l’événement : des cris de
mouettes, une maquette de sous-marin avec une oreille de porc
collée sur le côté, un brasseur d’air
à hélice, de l’extrait de synthèse
d’essence de hareng intégré à une
machine à fumée, un film noir et blanc montrant le
scientifique à la Chambre du commerce de Londres,
envoûtant les ministres et les transformant en bêtes,
et enfin un air joué sur des trombones superposés qui
rend toute cette parade pompière jusqu’au rire
nerveux. Groom fait tout : écriture, peinture, musique,
films, le tout évoluant avec des repères très
personnels, et un univers pathologicomique archi-construit…
Son grand court-métrage, baroque, interminable et
passionnant, Bobok, décrivant les dérives d’un
cadavre flottant et ses folkloriques rencontres champêtres, a
reçu le prix du jury au Festival Côté Court de
Pantin ce même mois de juin. Inutile de dire qu’il
était scié.
Van & Jess
Il ne se passe pas une semaine sans que nous écoutions les
deux petites sœurs noires-américaines Van & Jess.
Auto-filmées avec l’œilleton de leur ordinateur
portable, s’accompagnant de claquements de doigts,
d’accords plaqués sur leur piano-synthé, et de
beatboxing, le chant principal et les chœurs passant sans
cesse de l’une à l’autre comme si leurs cerveaux
étaient en fichier partagé, Jessica (la petite aux
joues rondes et aux dents du bonheur) et Ivana Nwokike (la grande
myope lunetteuse, au visage sérieux d’avocate de la
partie civile, qui met parfois sa jolie robe de princesse) font des
reprises sur le pouce de tous les tubes du moment (Beyoncé,
Lady Gaga, Rihanna, Dr. Dre), réarrangés et
améliorés, avec une inventivité et un naturel
dont aucune télé-crochet ne sera jamais capable. Dans
nos flashsideways, nous sommes Pam, la troisième
sœur Nwokike.
Viviana Moin
Et puis il y a eu cette performance de Viviana Moin. Dans le
très chic Hôtel Particulier, en haut de la butte
Montmartre, un Lundi soir de la fin du mois de Mai, assis avec les
spectateurs entre les chaises de la terrasse et les touffes
d’herbe, et dans le cadre d’une suite de perfs autour
de la transgression (thème chiant), nous avons
écarquillés nos yeux en découvrant cette femme
incroyable, mate, légère, douce et extrême,
dans son costume de ferraille sexy, avec une Pompadour de ferraille
sur la tête, comme une Don Quichotte de l’apparence,
danser à s’en blesser les jambes et bondir sur ses
talons hauts, tout en parlant avec sa pianiste, Mme Gonzalez,
qu’on ne voit pas. C’est tendu et léger, fort
comme du Copi ou du Zouc (elle est argentine comme le premier et
n’est pas un homme comme la seconde). Les paroles sont
suspendues dans l’air et parfois retombent foudroyées
comme des larmes de champagne sur le sol. Le soir progresse
lentement. C’était le dernier beau jour parisien.
Comme dans une chanson de variété,
l’été est parti avant d’avoir
commencé. Donne-moi ta main, laisse tomber tes cheveux, pose
ta tête sur mon cœur ; il paraît que,
désormais, il ne fera plus jamais beau.
Publication dans le numéro 74 de Chronic'Art.
La Compagnie du
Zerep
Le Théâtre du Rond-Point est gras et toc comme les
décors en polystyrène des Merci Bernard et
des Palace des années 80. Mais au fond du
restaurant – où quelques types vous servent des
tartines de graisse de Ribes pour agrémenter vos
apéritifs – il y a une petite salle caverneuse
où est reproduit le Couvent des Célestins. Là,
vous vous asseyez, et vous fermez les yeux quelques instants avant
de les rouvrir, parce que c’est : Oncle Gourdin de
Sophie Perez et Xavier Boussiron, pour la Compagnie du Zerep.
Oncle Gourdin au Rond-Point, c’est la revanche de
Topor. Auprès d’un arbre et de quelques champignons
géants, alors qu’une sylphide répète un
riff de harpe, cinq trolls débarquent et commencent à
casser et à recoller des tableaux, peluches, objets, dans un
boucan de tous les Belzébuth. Brutaux et innocents, ils sont
dans le temps cyclique d’avant l’Histoire et ne
connaissent que les allers-retours du jour et de la nuit,
jusqu’au jour où une troll trouve un
bébé mort dans le jardin, et là : changement
de registre, c’est la naissance de la tragédie chez
les trolls. Tout prend une gravité terrible, les mythes
grecs sont soudain recrachés les uns après
les autres comme des glaviots plein de sanglots de la vie terrestre
souffrante au Temps sans lacune du Destin… C’est un
théâtre pour nous autres, que font Perez et Boussiron.
C’est le théâtre archaïque dont nous avons
besoin, nous autres chevaliers sauvages. L’extase est une
communion dans la solitude. Quand tous les solitaires, les
freaks et les weirdos se retrouvent, alors le
premier rire qui éclate fait trembler la Terre, et nous nous
noyons dans un océan de larmes.
http://www.cieduzerep.blogspot.com/
The Umbilical
Chords
Peintre, poète, chanteur, Scott Batty traverse les
forêts urbaines, traque les esprits-animaux dispatchés
dans l’atmosphère, adopte les esprits-enfants, et les
capture dans des petites bouteilles qu’il rapporte jusque
dans son atelier pour les réinjecter ensuite dans des
tableaux ou des chansons. C’est un art de la miniature
magique : le mystère s’épiphanise dans des
nuances de bleu et de noir, de belles éclopées
émergent, leur sourire plein d’une puissance
amère. Et dans ses chansons, c’est Paris ou Londres
qui apparaissent comme une jungle d’affects en souffrance,
des temples d’indigènes malades qu’il va falloir
impérativement soigner. Récemment, Scott Batty
s’est associé à Le Hibou pour former un nouveau
groupe, The Umbilical Chords. Scott écrit et chante, Le
Hibou fait les programmations informatiques et la basse. La musique
est sourde, suspendue, comme un orage qui n’éclate pas
mais pèse sur le jour de tout son poids. Les chansons sont
sèches et répétitives : Sex Friend, Evil
Idle, Animals and Children, Ceux qui suivaient les concerts du
groupe précédent de Scott Batty, The Art of
Skinlessness, connaissent sa présence incroyable de
cabaretier chamanique. Ils savent que Scott Batty, sur
scène, est à la fois criminel, médecin, sage,
grand frère et enfant fou. The Umbilical Chords jouent le 15
Novembre au Rigoletto, 337 rue de Belleville 75019 Paris
à 20h, avec Geste et Avenge Thee.
http://www.scottbatty.com/
http://www.myspace.com/the.umbilical.chords
Tourettes
Karaoke
« Découvert » par Gilles de la Tourette en 1885,
diagnostiqué à des milliers de reprise, ce corpus de
gestes asociaux, tics nerveux et insultes
réitérées au pire moment (dans ton cul, fils
de pute ; dans ton cul, fils de pute) cessa pratiquement
d’être observé dans les premières
années du XXe siècle jusqu’à un
journée d’hiver 1971 où Olivier Sacks, au cours
d’une promenade dans les rues de New York, put relever trois
cas de maladie de la Tourette dans l’espace de quelques
minutes. Depuis, ils ne cessent de se multiplier de façon
exponentielle. Les causes de la maladie sont inconnues, les
médicaments sont inefficaces, la seule solution semblerait
être d’en faire – comme Tourettes Karaoke –
une manière d’être à part entière.
Tourettes Karaoke est un des chanteurs Youtube les plus
émouvants qui soient. Anglais, barbu, lessivé par son
combat contre sa maladie, avec tous ses fucks et ses gestes, il
redonne presque un sens à cette pleurnicherie de Losing
My Religion. Sinon, c’est Lady in Red, Hit Me Baby
One More Time ou Imagine chantés parfaitement,
avec une voix cristalline, au milieu des oy, des ass, des cunt et
des fucks, qu’il se répond à lui-même.
Nous avons assez vu de gens mignons comme ça. Nous avons vu
assez de snobs et de faux-culs, de gueules d’amour et de
crétins définitifs. Nous nous sommes faits
suffisamment enfariner. Seuls les Tourettes ont encore des choses
justes, profondes et sérieuses à nous dire,
même si ce qu’ils ont a nous dire, c’est surtout
: Dans ton cul, fils de pute. Vous méritez mieux,
vous ? Moi pas.
http://www.touretteskaraoke.com/
Publication dans le numéro 75 de Chronic'Art.
La Reine des Gitans et des
Chats
Là où on est, on ne voit plus que les couleurs : tout
est flou. Les enfants courent sur les tapis et les femmes sont
assises, silencieuses, observant avec solennité la
succession des numéros. La guitare,
l’accordéon, la contrebasse, le violon et la
clarinette sont dans une ligne droite, avec des bosses et des
creux, mais tiendront sans interruption pendant que Brice, le
funambule, fait un saut périlleux, Mélina, danseuse
et acrobate, dompte les sangles comme si c’étaient des
tigres, Alexandra fait le tissu aérien et voyage d’un
côté à l’autre du chapiteau en se
propulsant d’un coup de talon, et Sylvaine, la
contortionniste, petite, blonde et étrange, fait ses figures
impossibles dans l’air subtil : c’est le cirque
Romanès, cirque Tzigane, porte de Champerret. Pas de clowns
ni d’animaux : seulement des musiciens et des acrobates. Il
n’y a pas plus beau pour traverser l’hiver pluvieux que
ce petit chapiteau au milieu des caravanes, avec du vin chaud et
des beignets, les livres de poésie d’Alexandre
Romanès, et le chant de Délia, sa femme, beau
à faire reculer la frontière du jour et de la
nuit.
http://www.cirqueromanes.com/
Pour finir et
recommencer
On quitte le cirque mais on ne rentre pas pour autant dans la
ville. On reste hors du monde, en plein Paris : c’est sur la
place Sainte-Marthe, où Eric Perrier organise ses
soirées Pour finir et recommencer, un Vendredi par
mois. On paie ce qu’on veut à l’entrée et
on y traîne le temps qu’on veut. C’est une sorte
de cirque aussi, finalement : on peut y voir des films, des
concerts, des lectures… Ou alors on est dehors, à
fumer et à boire un verre de vin – pas chaud ! –
en débriefant sans fin… Et soudain, un soir,
c’est Hermine Karagheuz elle-même, une des plus grandes
et des plus inspirées, colorée comme une gitane,
fugitive comme une fée, ailée comme une grande
joueuse, qui lit les Elégies de Duino.
L’âme se fêle ; le spectateur n’est plus
qu’un tam-tam ivre de résonance. Personne n’a
fait pénétrer le poème de Rilke comme
ça, avec ses anges et ses amoureuses mortes, ses animaux,
ses marionnettes et ses forains… Pas besoin de musique,
quand Hermine Karagheuz scande le texte, on entend comme un violon
au loin, dur mais sensible, électrique et viscéral,
soupirant depuis le chapiteau de tous les poètes
sauvages.
https://www.facebook.com/pages/10-POUR-FINIR-ET-COMMENCER/192811017469099
Inhabitable
Et la princière Viviana Moin descend un escalier, sur une
musique de film archi-pompière, faisant un discours hilarant
et sublime, sur la réintégration des âmes,
alors que Hélèna Villovitch, David TV et Demetra
Nikolopoulou exposent « Inhabitable » à
l’Espace d’en Bas. La rue bleue est parfaite pour
l’éternelle femme en rouge, drôle et piquante,
qu’est Hélèna Villovitch. La nuit en devient
mauve, et les rires nous recouvrent comme des plumes
d’oreiller. Les meubles de Demetra, les danseurs de David et
les animaux d’Hélèna s’allient à
ravir sur un mur unique, avec des images graffitées sur des
coins d’enveloppes ou des peintures somptueusement
encadrées, le tout regroupé et centré comme un
herbier. C’est un rébus fouillé comme une
forêt. Les images ont plusieurs titres, les prix sont au
petit bonheur la chance. Une grande image peut valoir cinq euros et
un tout petit crobard, mais fantastique d’évocation et
de drôlerie, cent quatre-vingt…
http://www.warmgrey.fr/index2.html
Charbons
… Mais quand on aime, on ne compte pas. C’est loin et
c’est en train : c’est Charbons, l’exposition de
Killoffer aux Sables d’Olonne, à l’Abbaye
Sainte-Croix. Au dernier étage du musée, dans une
salle magnifique aux murs de bois, c’est le cosmos burlesque
au grand complet qui s’épanouit dans de gigantesques
images crayonnées jusqu’à la plus folle
précision. Un monde naît et meurt à chaque
seconde. Et sur deux toiles, au milieu d’une flore
fantastique, une ombre nous laisse imaginer la présence
d’un double ou d’un visiteur. C’est très
fou, très drôle, très inquiétant et
c’est simplement l’un des plus grands imagiers de tous
les temps. On sort du musée, et c’est la nuit. On
trace jusqu’à la plage, en face c’est
l’Océan atlantique, et rien n’est plus
vertigineux, à part quelques images de Killoffer. On avance
sur le sable jusqu’au moment où on perd pied et on
pourrait être déjà parti. Tout est flou, mais
on ne voit plus de couleur non plus : c’est la mer
allée avec la nuit, si on continue à avancer.
http://www.lessablesdolonne.fr/actualites/expositions/2593-charbons-killoffer.html
Publication dans le numéro 76 de Chronic'Art
Chiens de
Navarre
C’est dans les souterrains de chair humaine du Centre
Pompidou. Dans une étouffante foule de viande vivante, on
suit une réunion socioculturelle : une des
expériences les plus culpabilisantes de l’être
humain moderne, avec ses déprimantes tentatives de se hisser
à une certaine efficacité dans la
médiocrité, et toutes ces paroles chuintantes, au
lieu de se laisser glisser dans la bêtise extatique
jusqu’à atteindre le malstrom de silence
glacé… La France, c’est une boucherie de viande
de bébé enrobée d’euphémismes
mignards. Ca tourne et ça fait rire, rire ; ça donne
presque envie de vomir tant ça fait rire,
jusqu’à la césure où les Chiens de
Navarre se détruisent une chaise et la font flamber, des
hélicoptères téléguidés
survolent la scène, et la réunion socioculturelle
reprend, mais dans l’espace, avec des extraterrestres et des
robots, dans la même complaisance et la même
médiocrité. Anne-Elodie Sorlin dit : je suis un
cyborg schréberien. Un travesti traverse la
scène en chantant une ballade bouleversante. Tout est
à nouveau grandiose et triste. On comprend : il n’y a
pas, il n’y aura jamais plus fou que ce monde et ceux qui
l’acceptent…
Chiens de Navarre : «
Nous avons les machines », 1er-4 février 2012 au
Centre Pompidou ; prochaines dates : 6-12 avril au
Théâtre de Gennevilliers CDN de création
contemporaine.
http://www.chiensdenavarre.com/lapageacceuil.html
Philippe
Lagautrière
… Et la seule chose à faire, c’est de leur
attribuer les chatoiements et la grâce qu’ils
n’ont pas. Philippe Lagautrière fait partie de ces
imagiers grandioses qui, de Olivia Clavel à Scott Batty, en
passant par Pascal Doury et Captain Cavern, colorent la Terre,
sombre et cruelle, de leurs épiphaniques beautés.
Lagautrière, c’est l’homme des mille tampons :
ces images délicatement hilarantes coagulées dans des
mini-cosmos rétroactifs et insistants, puis projetés
sur la toile, transformés en gravure ou imprimés par
jet d’encre sur de grandes feuilles – faisant comme des
tapisseries chamaniques où on aimerait s’enrouler
comme le docteur Faustroll dans son sponge-bath. Tout est bleu,
rose, vert, et les hiératiques figures de gravures anciennes
s’y mêlent à des petits personnages
colériques et comiques, singes, chiens, coccinelles,
indiens… La galerie Oblique a pris l’initiative de
l’inviter pour une exposition personnelle, et soudain
à Paris, pour la première fois depuis 15536 ans, il
fait beau : Lagautrière a fait revenir
l’été. Il ne faut pas grand chose pour que le
démiurge fou se sente presque aimé…
Philippe Lagautrière,
« Rebelle etc. » : Galerie Oblique, Village Saint-Paul,
17 rue Saint Paul 75004 Paris, du 24 février au 10 mars
2012
http://www.lagautriere.com/
La Superfolia Armaada del
Craziest Mellanox Companeros
… Il faut juste y mettre beaucoup de douceur, mais avec
l’énergie de la colère. Vous imaginez un
concert où on pourrait retrouver, ensemble,
l’école de Canterbury, la cold wave, le free-jazz, le
rap ? Non, et pourtant, non seulement c’est possible, mais
ça produit un des plus beaux spectacles de tous les temps
– un des seuls qui se hissent à la hauteur de nos
actuelles exigences d’hommes-mondes, trempant toutes les
musiques dans leur tasse de thé. C’est Olivier
Mellano, guitariste, compositeur et chef de guerre hors pair, qui
l’a produit, et c’était pour un soir unique,
à Allonnes, avec les plus improbables guest-stars, jouant
chacun sur les morceaux des autres, passant successivement
d’accompagnateur à leader, alors que toutes les
chansons nous parlent d’un monde qui est le nôtre, mais
qui s’efface déjà… Il faut entendre John
Greaves et son phrasé labyrinthique de gallois
céleste s’insinuant au sein de ballades en sables
mouvants ; Simon Huw Jones, messianique dans son manteau de grand
anglais maudit ; Dick van der Harst et son tible catalan,
coltranien jusqu’au trognon ; Arm, précis, triste et
fort, comme l’homme qui observe la tempête de feu de
l’autre côté du monde ; et le plus beau de tous,
Mellano lui-même, adolescent et vieillard, tirant ses
mélodies du fond de la mer comme des poissons ou les
descendant du ciel comme la pierre blanche. La nuit devient
transparente, l’eau remonte jusqu’au ciel, il
n’y a plus que des étoiles et elles sont en biscuit
feuilleté.
Olivier Mellano et la Superfolia Armaada del Craziest Mellanox Companeros : Vendredi 20 janvier, L’Excelsior, Salle Jean Carmet, Allonnes