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Dada-Yuga
Paru en 2012

Contexte de parution : EROS3 + DANSE DES FOUS + COSMOGON

Présentation :

Texte de présentation à l'occasion de la sortie du DVD de Joachim Montessuis.


Sujet principal : Joachim Montessuis
Cité(s) également : plusHans Cousto, Jean-Pierre Brisset, Lewis Carroll, Marcel Duchamp




Les lecteurs de Jean-Pierre Brisset le savent : toute initiation artistique peut se résumer à l’enseignement de la natation, et c’est sur la Terre ferme que l’on apprend à se mouvoir dans l’eau. Joachim Montessuis forge un art de la plongée dans l’espace cosmique. Nageant dans les vibrations du système solaire, le suppôt  tente de voir et d’entendre, à la place des grenouilles ou des anges, la naissance de l’Univers, ou plutôt sa naissance dans l’Univers : la naissance du Dada Avatarâ. Que fait-on quand on regarde un film, quand on écoute une musique ? On dirige une voiture sans jamais avoir appris à conduire sur une route qui se confond avec la forme de notre corps astral. Et on décompose et recompose notre corps de diamant-foudre  à la mesure des modifications de notre perception.

Dans La Danse des fous, on commence par rouler… Les routes traversées font place aux rotoreliefs de Marcel Duchamp qui prennent vie, se rencontrent, dans une lente et rythmique parade amoureuse. L’avatarâ naît, dans une multiplicité de reflets… Les phases se succèdent comme des épreuves  rythmiques, visuelles et sonores. La voix du medecine man Antonin Artaud pique un instant l’esprit comme l’aiguille de l’acupuncteur… Jean et Emmanuel Düring jouent quelques mesures de musique dévotionnelle, pour les malades de musique … Quelques gros poissons (Julien Blaine, Michel Giroud) traversent l’image comme les animaux que Alice aperçoit dans la mare de larmes au début de Alice au pays des merveilles… La folie n’est rien si elle est incluse rythmiquement dans le quotidien de l’homme, si elle est canalisée dans la transe. Les fous dansent, mais la danse est ce qui permet à la folie de ne pas dégénérer dans la maladie mentale. Dans Erosagape, c’est la sexualité qui est revécue à son tour comme une danse dévotionnelle et une lente traversée du sensible . Si, dans La Danse des fous, les rotoreliefs agissent comme des amants, dans Erosagape c’est le corps des amants qui se fait rotorelief ou pôle initiatique. On entre dans les détails de la peau ; l’amour devient invocatoire et sidéral ; une rythmique rock sourde et insistante rattache le déroulement de l’acte sexuel à celui d’un culte orgiastique, soigneusement dédié au lieu où les corps se mélangent et, dans l’ascension extatique qui couronne l’amour, l’espace d’un instant, deviennent Dieu.

Joachim Montessuis rattache le geste de rupture apparente  des grandes figures de l’apparente modernité (mais « Dada n’est pas du tout moderne, disait Tristan Tzara, c’est plutôt le retour à une religion d’indifférence quasi-bouddhique. ») aux expressions de la métaphysique traditionnelle. Il le fait en inventant une forme audiovisuelle, vidéographique et musicale, d’illumination ou de délivrance, en accord avec les recherches scientifiques et avec les technologies les plus raffinées de l’époque. Chez les Hindous, le monde naît d’une note, Aum, un son signifiant « J’accepte » et prononcé à l’origine de la création (comme « Oui » marque la naissance et l’accomplissement de l’amour érotique et « Je ne sais ce que c’est. Jeune sexe est. »  la transformation de la grenouille en homme). À ses trois lettres correspondent les trois forces de la Trimurti. A émerge du fond de la gorge, vers le palais : c’est Brahma, origine de la création, force indéterminée et inconditionnée. U roule sur la langue : c’est Vishnou, continuation de la vie, force centripète et conservatrice. M termine sur les lèvres : c’est Shiva, fin de la vie, force centrifuge, destructrice et créatrice. À cette subdivision qui implique la naissance de l’avatarâ, correspond la forme du système solaire. Joachim Montessuis poursuit ici les recherches du mathématicien et musicologue suisse Hans Cousto sur l’octave cosmique, reliant les orbites des planètes, le temps, les couleurs, les rythmes musicaux et les fréquences. La révolution de la Terre autour du soleil peut être entendue dans la 32e octave ; sa fréquence est de 136,10 cycles par seconde et, vous allez rire, c’est un Do dièse, le son du Aum. « Il est vraiment étonnant que ce ton soit le son tonique en Inde et autres pays en Asie, dit Hans Cousto. Dans ces pays, ce ton a été senti, ici en Europe, il a été calculé. » C’est sur Cosmogon que ces recherches prennent une forme musicale. Transposition des vibrations du système solaire, jonction entre astronomie, mathématique et musique, Cosmogon est un Nada Yoga, une voie de l’ouïe, comme La Danse des fous, peut-on dire, est un Video Yoga, adapté à notre époque de fin de cycle. C’est un Yoga de l’Urgence adapté à l’Âge de Fer. À la pointe de ses actes artistiques singuliers , le monde occidental retrouve, par des actes dévotionnels comme celui de Joachim Montessuis, la puissance régénératrice de la pensée orientale. Et ces actes impliquent, entre la fin du Kali-Yuga et le début du prochain cycle de manifestation, une courte période d’ascèse esthétique, de destruction rituelle et d’humour illuminatif. C’est le Dada-Yuga. Qu’en savons-nous ? Nous ne le savons pas. Mais seul celui qui n’a pas vécu le Dada-Yuga peut en parler. De même que seul un non-conducteur, comme Joachim Montessuis, sait instinctivement que la voiture a une relation naturelle avec le corps astral.