Chronique de disque publiée dans Rock&Folk en 2012
La guitare est un ciel qui tremble, entre chien et loup. La voix de la chanteuse est un spectre affamé de théâtre japonais. Les arrangements ont l’étendue du désert entre chaque sirène, chaque battement de cœur, chaque clin d’œil de gecko des sables planqué derrière le cactus. Des bongos apparaissent et disparaissent. Un orgue se dérègle comme la colonne vertébrale d’une chanson des Residents. Et les chansons sont des souvenirs de souvenirs, des reprises de reprises : Peggy Lee, Patsy Cline, Johnny Burnette, Bo Diddley, Elvis Presley, Dean Martin, Ben E. King, Andy Williams, les Shangri-Las traversent l’album comme des âmes errantes et irréconciliées… Ce n’est plus des « cover versions », c’est du spiritisme ! Chloé Mons et Xavier Boussiron sont les suppôts d’un western de tables tournantes – des fantômes de guitariste et de chanteuse traversent leur corps et leur souffle, les faisant vivre – comme dans « Céline et Julie Vont en Bateau » de Jacques Rivette – une pièce perpétuelle avec une maison, des adjuvants, des opposants, une petite fille, un crime… Tel un héros mythique qu’on avait perdu en première saison de feuilleton et qui revient dans la neuvième, Salvatore Adamo apparaît pour chanter « La Notte » et le lyrisme devient haletant et inquiétant, halluciné et éreintant. Chloé Mons chante « Ciao Ragazzi » de Adriano Celentano et c’est la trattoria mike-pattonienne de « Mondo Cane » qui est convoquée et rejointe, alliance de Dada et du Yéyé. On achève la nuit avec « Amado Mio » du film « Gilda ». Tout ça ne nous parle que de nuits passées à danser et à pleurer, de cœurs blessés et de bouteilles brisées, et de toutes ces vies qui nous ont précédé, passées à aimer et à souffrir, à pleurer et à vibrer. Et tous ces fantômes nous entourent. Leurs bras nous agrippent ; et, d’un lancer de rose blanche, ils nous demandent de les rejoindre, dans leur éternel théâtre d’amour.