Coucou! Il est minuit et, à minuit, à l’heure où le chaos règne, en attendant l’heure où blanchit la campagne, nous recevons un invité : PACÔME THIELLEMENT!
QUOI DE PLUS CHAOS QUE PACÔME THIELLEMENT? « Né en 1975. Écrit sur la magie noire, l’envoûtement, les sacrifices rituels, la voie de la mort et les choses sucrées ». CHAOS TOTAL, OUI.
Quel est votre rapport au cinéma et quel est le premier film que vous ayez vu?
Pacôme Thiellement : Tout d’abord j’ai vu un Rubik’s Cube psychique – je devais ranger les scènes dans le bon ordre (les rouges avec les rouges, les bleues avec les bleues) pour comprendre ce que le film racontait. Puis c’était une image d’Épinal : comme la vieille sorcière cachée dans le front de la petite fille, le film se regardait dans un sens, mais en le renversant dans l’autre, ou en commençant à observer un détail jusque là inaperçu, on voyait un autre récit se dessiner, plus inquiétant, plus étrange, plus intime. Enfin, c’était des cartes de Tarot : les films répondaient aux questions que vous vous posiez, à partir du moment où vous aviez suffisamment développé votre intuition pour les choisir et votre «sens de l’association» pour les interpréter. Mon premier film, c’est Un Cadavre au dessert (Murder by death) de Robert Moore, avec Peter Sellers, David Niven, Peter Falk, james Coco, James Crowmcell, Nancy Walker, Alec Guiness et Truman Capote. Je l’ai adoré dès le générique, à cause de la boîte qui s’ouvre comme un pop-up book, avec les acteurs en figurines découpées dessinées par Charles Addams devant la maison du film. J’étais vaguement capable de saisir que le film était une farce, une parodie de murder party, et que tous les personnages étaient des pastiches de détectives célèbres (Milo Perrier pour Hercule Poirot, Jessica Marbles pour Miss Marple, Sidney Wang pour Charlie Chan, Dick et Dora Charleston pour Nick et Nora Charles, Sam Diamond pour Sam Spade, etc.) mais je m’en fichais : la maison aux pièces permutables, le majordome aveugle et la servante sourde et muette, les portraits qui changent d’orientation de regard… Tout ça me fascinait comme une bande dessinée de Fred ou de Windsor MacCay et je le revoyais en boucle : du coup, désormais, je suis aussi pathologiquement boulimique que Perrier, ridiculement homme du monde que Charleston, pseudo-viril que Diamond, mémère que Marbles et j’aime les dictons pseudo-orientaux et les blagues qui ne font rire que moi comme Sidney Wang. Sans parler de mes livres, qui ressemblent aux indications données par une sourde-muette à un aveugle !
De manière générale, qu’est-ce que vous préférez au cinéma?
Pacôme Thiellement : J’aime le cinéma qui officie comme la porte ou plutôt comme la salle d’attente du monde des formes en suspens. J’aime les architectures spirituelles du mal et de la possession, les caravanes des soupirs et des cris, la localisation psycho-géographique des centres de la contre-initiation et les prophéties obscures sur la guerre totale. J’aime les visages terrifiants, les textures lourdes et chargées, les vrombissements, les éclats, les orages, les nuits, les belles femmes au maquillage qui coule sous les larmes, les meurtres incompréhensibles et les agents perdus, les soudaines disparitions, les longues virées qui n’en finissent pas, les enfants qui savent quelque chose que nous ne saurons jamais, les seconds rôles poétiques joués par des acteurs un peu fous, les animaux aux pouvoirs parapsychiques, la zoologie fantastique, les choses sucrées, les dialogues qui ne vont nulle part, les queues de poisson, les mindfucks, les renversements de perspective et les métamorphoses de l’âme.
Quels sont les films qui ont marqué votre parcours de cinéphile par leur intensité, par des séquences précises ou par la simple force des images ?
Pacôme Thiellement : Il y en a trop, mais pour faire simple, on va dire Shining de Stanley Kubrick, vu à la fin de l’enfance, qui a certainement posé les critères, les principes indiscutables, ou les qualifications pour tous les autres. En particulier le plan des deux fantômes surpris par Shelley Duvall : l’homme déguisé en ours qui s’apprête à faire une fellation au vieux monsieur. Là il y a tout ce que j’attends d’un film, c’est-à-dire l’accès à la vision : l’image mentale, étrangère (a priori) de tout le reste du scénario, non-rationnelle et non-rationnalisable, mais qui, en apparaissant de façon soudaine, ouvre sur les champs les plus troubles de la signification « descendante » du film, liée à l’inceste, aux enfants abusés, à l’histoire maudite, comme à celle, « ascendante », du carnaval, de la « sortie de l’ours » et de l’apprentissage chamanique de la vision. Si on y ajoute une perfection formelle contrebalancée par quelques aberrations intégrales (le personnage qui change de prénom au cours du film, les faux-raccords qu’on remarque à partir de la 17e vision mais qu’on ne peut plus louper ensuite, etc.), et la porte ouverte à toutes les interprétations imaginables, on a simplement ce que le cinéma peut produire de plus beau, de plus fort, de plus important pour moi. Sinon je peux citer Twin Peaks fire walk with me de David Lynch, Le locataire de Roman Polanski, Suspiria de Dario Argento, Le secret derrière la porte de Fritz Lang, etc. Mais ce sont toujours des «explorations des maisons du Mal» ou une interrogation sur la fonction contre-initiatique du médium. Je crois aussi que je n’aime que les œuvres qui détestent la matière à laquelle elles appartiennent. Les poètes détestent la littérature et les grands poèmes cinématographiques sont des films qui haïssent d’amour le cinéma dont ils font partie.
Est-ce que, dans votre parcours de cinéphile, il y a eu un « avant et un » après un film ?
Pacôme Thiellement : Céline et Julie vont en bateau de Jacques Rivette a été ma césure cinéphilique, comme Buffy The Vampire Slayer est mon grand « avant/après » concernant la fonction de la série TV. Une fois qu’on a vu Céline et Julie vont en bateau, on sait qu’on « peut » y arriver, dans la vie, dans l’amitié, dans l’amour, dans la politique, dans les choses. Il suffit de savoir se battre avec les bonnes armes, et celles-ci sont toujours à votre disposition – à partir du moment où on arrête d’écouter les mauvaises personnes. Buffy raconte presque la même chose. Ce film et cette série parlent de la solitude, de l’amitié, de l’amour et de la guerre. Il faut savoir pratiquer l’amitié – savoir aimer, mais aimer vraiment – pour se battre intelligemment. Et pour savoir aimer, il faut aussi connaître le prix de la solitude.
En 2050, est-ce qu’on fera encore du cinéma ?
Pacôme Thiellement : En 2050, vous ferez bien ce que vous voudrez, mais sans moi s’il vous plaît.
Votre dernier coup de cœur ?
Pacôme Thiellement
: Tous les films de Bertrand Mandico avec Elina
Löwensohn.
JOUR DU FLEAUQUIZ CHAOS DU CINÉPHILE
Un film : Le jour
du fléau, de John Schlesinger.
Une histoire d’amour : Love Exposure, de
Sono Sion.
Un sourire : Rosanna Arquette
Un regard : Judy Davis
Un acteur : Helmut Döring
Une actrice : Sissy Spacek
Un clown triste : Harry Dean Stanton
Un début : Experiment in Terror de Blake
Edwards
Une fin : Le mariage de Maria Braun de Rainer
Werner Fassbinder
Un coup de théâtre :
L’invraisemblable vérité de Fritz Lang
Un générique : The Meaning of Life
de Monty Python
Une scène clé : Le banquet de Freaks
de Tod Browning
Un plaisir coupable : Angel Heart de Alan
Parker
Une révélation : God told me to de
Larry Cohen
Un gag : La porte qui ne fait pas de bruit quand
elle claque dans Playtime de Jacques Tati
Un fou rire : N’importe quelle scène
de séduction de Margaret Dumont par Groucho Marx
Un film malade : Bloc-notes d’un
cinéaste de Federico Fellini
Un rêve : Conversation secrète de
Francis Ford Coppola
Une mort : Evelyn Mulwray dans Chinatown
Une rencontre d’acteur : Hermine
Karagheuz
Une scène de cul : Toutes celles de
Histoire de Marie et Julien de Jacques Rivette
Une réplique: « I’m making my
lunch » (Crispin Glover dans Wild at Heart)
Un silence : Persona de Ingmar Bergman
Un plan séquence : Profession Reporter de
Michelangelo Antonioni
Un choc : Cure de Kiyoshi Kurosawa
Un artiste sous-estimé : Henri-Georges
Clouzot
Un traumatisme : Antichrist de Lars Von Trier
Un gâchis : La splendeur des Amberson de
Orson Welles
Un souvenir de cinéma qui hante : Trois
femmes de Robert Altman
Un film français : Jamais plus toujours de
Yannick Bellon
Un réalisateur : Charles Laughton
Allez, un second : Charlie Kaufman
Un fantasme : Ava Gardner dans Ville haute ville
basse de Mervyn Leroy
Un baiser : Pam Grier et Robert Foster dans Jackie
Brown
Une bande son : La troisième
génération de Rainer Werner Fassbinder
Une chanson pour le cinéma (et qui n’apparait
dans aucun film) : Base Phive Futur-Cossacks de Secret
Chiefs 3
Une chanson de cinéma (et qui n’a jamais
été mieux qu’au cinéma) :
Hollow Me de Yura Yura Teikoku
Un somnifère : Paris Texas de Wim
Wenders
Un frisson : Les apparitions du fantôme dans
Opening Night
Un monstre : Possession de Andrzej Zulawski
Un torrent de larmes : Yakuza de Sydney
Pollack